Au décollage pour Séoul, il y a une trentaine de places libres dans l’avion. Je quitte mon gros voisin pour aller m’asseoir dans le compartiment fumeurs, au bout d’une rangée semi-vide. Le temps d’aller chercher mes bagages pour les transférer dans la boite qui se trouve au dessus de ma tête, un jeune fumeur s’est installé à ma place. Il a balancé mon sac et mes journaux sur le siège d’à côté. Il s’en va.
Arrive par l’autre bout de la rangée une jeune femme qui m’a l’air enceinte. Visage doux, pas une coréenne me semble-t’il. Elle s’installe au milieu. Je lis un article inconsistant sur la « physionique » dans LA RECHERCHE de février. Elle me demande si on peut libérer le siège qui reste entre elle et moi. J’enlève mon sac ; elle s’allonge. Je ne sais plus comment ni au bout de combien de temps, mais notre voisine, à l’autre extrémité de la rangée, se lève, désemparée, et va se chercher un siège ailleurs. La dame enceinte s’étend sur les trois sièges maintenant libres. Elle semble dormir. Elle se lève tout à coup et revient avec un grand bébé qu’elle couche à côté d’elle. Ils dorment dans les bras l’un de l’autre. Le bébé se met à pleurer. Se tait. Je jette un coup d’oeil. La maman embrasse son fils sur la bouche. Je n’en suis pas sûr ; si : elle l’embrasse, il l’embrasse. Ils s’embrassent goulûment. Il s’endort à nouveau sagement, plus de bruit. Je lis toujours, je ne sais quoi. Le petit se réveille, geint à peine, la jeune femme, beau corps lourd et rond, toute en douceurs, applique sa médecine aussitôt.
Combien de temps cela dure-t’il ? La mère éloigne un peu sa tête. Le fils tend le bras, son petit poing dans les cheveux de sa mère et lui ramène sa bouche contre sa bouche et le baiser reprend, mouvements des lèvres, déglutitions. Apaisement. Long sommeil. Pleurs à nouveau ; à nouveau le baiser d’amoureuse tendre, maternelle, apaisante. Le petit se tend, se détend : mouvements amples, brusques, spasmodiques, des jambes et du bassin. Souffle tenu dans la bouche de sa mère. Il a joui, ce petit diable. Sommeil. Dont il se réveille en pleurant, encore. Elle se redresse, excédée ; le considère ; le prend dans ses bras et se lève. Petite promenade dans l’allée. Re-couchade. À nouveau il la prend et la ramène sur sa bouche de sa petite main, logée par réflexe au toujours même endroit, dans les cheveux, en dessous de l’oreille. Demande, faim et soif de baisers.
Il y a de quoi bander, oui. Et être ému. Inquiet.
Paris — Séoul, 28-29 février 1996