Dans la classe de Viviane Claus, une "première bac pro" du lycée professionnel Jean-Moulin à Vincennes (94), six séances de début janvier à fin mars 2005.
Des textes d’élèves et leurs notes sur ce qu’ils retiennent de l’atelier, un texte de Viviane Claus et le texte qu’on va lire ont été publiés dans un numéro spécial de la revue Java où l’on trouvera des dossiers équivalents, rapportant les ateliers menés la même année dans des lycées et des collèges dans l’académie de Créteil avec Gwenaëlle Stubbe, Christiane Veschambre, Brigitte Gyr, Ariane Dreyfus, Philippe Longchamp, Gérard Noiret, David Dumortier et Pascal Boulanger.
On peut se procurer ce n° ou le consulter à la Maison des écrivains.
Ces ateliers (programme "poète dans la classe"), qui existaient depuis 1993, ont dû leur existence, leur acuité, leur pertinence à l’engagement et à l’intelligence de Donatella Saulnier (Maison des écrivains) et de Monique Radochévitch (académie de Créteil).
Dans notre préparation (un atelier dans une classe est toujours un travail commun), Viviane Claus et moi avions décidé de travailler plus précisément sur la réécriture. D’où la question, « Comment sait-on que le poème est fini ? »
Parmi les questions de première rencontre, il y a « En vit-on ? », « Êtes-vous inspirés par d’autres poètes ? », etc. Cette fois-ci il y eut aussi « Comment sait-on que le poème est fini ? ». Je promis une réponse en fin. D’abord il fallait lire, écrire, récrire.
On passe la première heure en lecture (flairer, rejeter, trouver, lire et relire, argumenter, partager, s’inspirer), la seconde en écriture. Pas vraiment un atelier : pas de temps même pour disposer les outils sur l’établi. Mais parcourir un cycle : du silence initial jusqu’au poème qu’on laisse aller seul – si possible. Profiter des trois ou quatre épisodes pour reprendre à chaque fois ce qu’on n’a pas eu le temps de finir la séance précédente.
La consigne n’est pas de forme mais de posture, de forme d’attention. « Écrivez quelque chose d’important à quelqu’un. Vous parlez de choses et d’autres, de celles qui sont du domaine public, du monde, et vous parlez de ce qui vous importe le plus ».
On ramasse, on transcrit ça au propre et deux jours plus tard, ou une semaine, deux semaines, on revient avec pour chacun sa feuille annotée – seulement un trait en marge : là est l’énergie – ou un trait horizontal entre deux lignes, un signe plus en marge : ici un manque, un appel du dehors, laisser venir une histoire, du gravier, de ce qui ne passe pas. Ce n’était donc pas fini. On ouvre à nouveau l’attente, le souvenir. Il était donc possible d’ouvrir cela à nouveau.
Reprise des textes, lecture, assemblages possibles. On change encore d’attention. On reprend tout cet hétérogène, on l’écoute, maintenant formellement. Appuis, géométries nées du matériau même.
C’est fini quand on n’entend plus rien : plus d’accès à la source ou, penché dessus, aucun son. C’est fini quand on ne voit plus rien : on ne voit pas ce qui, de cet assemblage de lignes et de strophes, irait mieux. D’une manière ou d’une autre on ne peut plus.
Ou encore : maintenant c’est quelque chose qu’on garde pour soi. Cela rejoint un cahier ; peut-être avec des fleurs séchées sur la couverture. On refusera même que ce poème soit publié dans le recueil de classe.
Ou d’encore une autre sorte : la preuve que c’est fini c’est qu’on l’envoie, on le met sous enveloppe, on le donne au prochain rendez-vous – c’est pour toi. On donnera peut-être l’autorisation que cela aille dans le recueil de classe, ça n’en sortira pas.
Beaucoup de ce que j’écris va à la poubelle.
Plusieurs ont senti cela : il y a quelques poèmes qui sont publics. Qui sont de l’intime public. Ils vont seuls. On les regarde et on voit qu’ils se passent de vous. Ils sont adressés à cet ennemi, à cet ami, et en même temps on ne les entend plus personnellement : impersonnellement ; ils sont pour chacun ou tous ou, plus exactement, pour tout un chacun.
Ils en ont écrit qui sont de cette eau.
On peut dire ceci : si tu récris, l’écriture peut-être trouvera sa fin. Parce qu’on aura laissé ce texte venir de cette façon, de cette autre ; et qu’on l’aura lu de cette façon, de cette autre ; et écrit, récrit de plusieurs manières : comme histoire, comme alternance de strophes adressées et de strophes tournées vers soi, comme évènement, comme hâte de saisir les mots et les émotions qui viennent ensemble – et on sait bien que ce qui va seul c’est ce qui existe de plusieurs façons à la fois.