On est dans un entrepôt, immense. Il y a des milliers de références.
Il ou elle porte son appareil à la ceinture. Cet appareil transmet les ordres dans le casque. Elle ou il va où on lui dit d’aller, saisit le paquet, en même temps le pose sur la palette et dit au micro : « validé ».
On appelle ce dispositif la commande vocale.
Littéralement, la machine commande à l’homme.
Philippe Davezies, enseignant chercheur en médecine et santé au travail à l’université Claude Bernard, à Lyon, a publié une étude qui démontre les dégâts provoqués par cette nouvelle pratique machinique qui s’est répandue dans le monde entier.
Le journal L’Humanité a interrogé Nadine Villeau, déléguée syndicale CGT, préparatrice de commandes sur une plate-forme logistique du groupe Dentressangle, à Artenay dans le Loiret : « On est tout le temps aux ordres de la machine. » « Entre nous, on s’appelle les "petits robots". » « J’ai hyper mal au dos, le kiné dit que mon dos est une pierre. »
Une pierre : elle manipule des centaines de colis par jour, pesant entre 25 et 200 kilos, elle soulève au total 14 ou 15 tonnes par jour.
Des tonnes mal payées : le Smic, plus une prime de rendement si le quota de colis à remplir par tête est dépassé.
Sur ce site d’Artenay, grâce à ce nouveau système, le quota de colis à traiter est passé de 200 à 380 à l’heure.
Ils ont fait deux choses en même temps : ils ont augmenté la sûreté d’identification et de prise des marchandises, ils ont augmenté les cadences. Ils ont gagné en réduisant les erreurs, ils ont gagné en augmentant les cadences.
Jusqu’à changer des dos d’hommes et de femmes en pierre.
Ce n’était pas obligé.
On aurait pu en profiter pour diminuer les cadences : moins d’erreurs, moins de pertes, donc plus de tranquillité, plus de pauses pour se reposer et parler.
Non.
Thierry Nuttin, membre du CHS [1] de la base de Loriol d’Intermarché Logistique : ce qui est le plus insupportable, c’est de « toujours entendre cette voix, et lui répondre. Dire des centaines de fois par jour "validé". Les gars, quand ils rentrent chez eux, que leur femme leur pose une question, ils disent "validé"… »
Ainsi le rêve des vierges et des fous qui entendent des voix est-il réalisé dans les entrepôts du commerce.
Et le plaisir artiste du solitaire qui est retiré dans son casque dans la foule du métro trouve-t-il un accomplissement autre, utile aux flux tendus.
Ce qui est insupportable aussi c’est d’être seul. Non seulement vidé de pensées mais aussi vidé d’entour humain.
Frédéric Cabrol, base Intermarché de Pézenas : « Quand on met l’appareil sur la tête, on est tout seul dans son monde, on n’est plus avec les autres ; automatiquement, on est plus performant ». « Avec la prime et la commande vocale, c’est chacun pour soi. »
Alors ! Qu’est-ce qu’on fait ?
Source : article de Yves Housson dans L’Humanité du 27 avril 2009.
Cet article renvoie à l’enquête de Philippe Davezies, datée de décembre 2008 et qu’il a mise en ligne le 15 avril 2009.
Cheminement de l’information :
Philippe Davezies a fini de rédiger son mémorandum en décembre 2008 ; il l’a mis en ligne sur son site à la mi-avril 2009 ; Yves Housson, journaliste de l’huma, a mené son enquête et l’a publiée le 27 avril.
Cette information est reprise telle quelle (article d’Yves Housson recopié) sur quelques sites « anti-capitalistes » :
- Cri du peuple 1871
- La Tête au Carhaix !
- antilibéral
on est entre soi, dans la nasse ; peu de vagues au total et ceux qui bougent reprennent l’information telle quelle : pas d’enquête, pas de rencontre, pas d’entraide, pas d’action ; on fait ce qu’on peut ; manque le pas d’après –
tandis que les affaires continuent
- déjà, en mai 2006, easydis, filiale à 100% de Casino, annonçait sa décision de généraliser « une technologie qui doit porter la productivité à un taux équivalent de 99,8 % » ; ils sont contents, ils ont constaté dans des entrepôts tests « des gains de productivité [qui] sont passés rapidement de 150 à 240 colis par heure » ;
- en mars 2008, emphase, exaltation, alliance des deux leaders mondiaux : de la commande de travail humain par la voix Vocollect Incorporated et du logiciel de gestion d’entreprise SAP Aktien Gesellshaft ; « Vocollect, Inc., leader mondial du travail dirigé par la voix (Voice-Directed Work), annonce que l’intégration de sa solution de commande vocale pour entrepôts VoiceLink 3.0 WCS vient d’être certifiée par SAP AG, premier éditeur mondial de logiciels d’entreprise »
- mai 2008, chez Hendersons (Irlande), « l’impact de la technologie vocale a été extraordinaire »
- une page spécialisée « logistique commande vocale » sur un site d’offres d’emploi ; par exemple : « Merdrignac Côtes-d’Armor / Notre client, nouvel acteur de la logistique en France, recherche des Préparateurs de commandes (H... /F) pour sa plate forme logistique d’approvisionnement d’enseignes de grande distribution reconnues... de préparation - charger les quantités de produits correspondant à la commande traitée - Pointer les produits... réalisées à l’aide d’une vocale (appareil auditif qui vous transmet les informations à suivre) / Expérience : (Indifférent) / Contrat de travail : Intérim ;
- et ainsi de suite
ces deux sphères : l’une en expansion constante, factuelle, différenciée en offres de services, de techniques, en recherches de main d’œuvre et qui est sans cesse en quête d’alliances, de renforcements réciproques ; l’autre répétitive, étroite, autolimitée ; un rapport de forces ; non pas dans l’information, comme le dirait le crétin postmoderniste, mais dans le monde du travail et ce rapport de production tracé sur la toile.
Et moi, quand et comment ai-je trouvé cette information ? Je ne sais plus. Je l’ai passée sur radio 100 fuites, dans l’émission de Philippe Zunino, Les Grosses têtes de l’art, le 9 mai 2009 – je l’ai récrite sous rêverie pressante ces jours derniers et je la mets en ligne aujourd’hui, 20 mai 2009.
Reconnaissance aux ouvriers et aux délégués syndicaux.
Reconnaissance à l’universitaire Philippe Davezies.
Lire les bonnes et mauvaises nouvelles des Grosses têtes de l’art.
Journal de la crise de 2006, 2007, 2008, d’avant et d’après, effondrement jour après jour.
Publication intégrale de 2006 sur le site de Laurent Margantin, Œuvres ouvertes : voir la présentation et le sommaire avec les liens directs vers les épisodes parus.