La montagne de Chacaltaya (point culminant à 5 395 mètres) est à une heure en voiture de La Paz, la capitale de la Bolivie.
S’y trouvait la plus haute station de ski du monde. Cette activité s’est arrêtée à la fin des années ’90. Le téléski a été démonté.
Chacaltaya est aussi le nom du glacier qui s’y trouvait, qui a fondu, qui n’y est plus.
C’est le scientifique bolivien Edson Ramirez qui a donné l’alerte.
Lui et son équipe surveillent le glacier depuis les années ’90. Ils pensaient que le glacier aurait fondu d’ici 2015. Mais tout va plus vite que prévu. Ce printemps 2009, c’est déjà terminé.
Les populations vivent depuis des millénaires au contact des glaciers.
Edson Ramirez a annoncé son intention d’organiser une cérémonie en mémoire du disparu.
Tous les glaciers de la région fondent.
L’eau qui descend des montagnes des Andes, directement par les pluies, ruisseaux, rivières, fleuves ou stockée et relâchée plus tard par les glaciers, alimente 80 million de personnes en Bolivie, Équateur et Pérou.
Sans oublier l’énergie. En Bolivie, près de la moitié de l’électricité est d’origine hydraulique.
En 2008, la région a connu un déficit des précipitations de l’ordre de 30%, et les réservoirs de La Paz n’ont pas pu se remplir.
Les villes de La Paz et d’El alto, sa voisine, juste au-dessus, augmentent leur consommation (la croissance annuelle est de 5% pour El Alto), et la population continue d’augmenter.
En-dessous des montagnes on aura donc de plus en plus soif.
Tuni et Condoriri sont les noms de deux montagnes, à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de l’agglomération de La Paz. On capte sur leurs versants l’eau de la fonte des neiges accumulées pendant l’été andin sur les glaciers à leurs sommets.
Le canal qui amène l’eau de Tuni à l’usine de potabilisation a été dynamité en 2004 et en 2006. L’alimentation a été interrompue à chaque fois pendant quelques jours.
Les communautés rurales pensent que l’eau qui court sur leur territoire leur appartient.
Elles obtiennent ainsi des compensations financières et de temps en temps les renégocient.
Un mouvement de terrain provoqué par une faille géologique sur l’altiplano a endommagé, en février 2008, la canalisation qui alimente l’usine de potabilisation Pampahasi.
Pendant plusieurs semaines, le temps de réparer la canalisation, des dizaines de milliers d’habitants d’El Alto et de La Paz ont été privés d’eau.
L’entreprise concessionnaire du service d’eau a mis en place des rotations de camions-citernes, mais il y avait trop d’assoiffés, pas assez de camions. Dans les longues files d’attente les sinistrés se sont parlés, regroupés, ils ont uni leurs protestations.
Selon E. Ramirez, 2009 est l’année de la rupture de l’équilibre : on utilise plus d’eau que ne peut en apporter la nature.
Pour la première fois, on a interdit aux habitants de jouer avec l’eau pendant le carnaval. Façon de dire : la fête est finie, on a changé de millénaire, on va rationner.
Comme dans bien d’autres villes, y compris en France, le réseau d’approvisionnement de la ville d’El Alto, dont près d’un million d’habitants bénéficie, accuse des pertes qui peuvent atteindre 40 à 50% des ressources en eau.
Dans l’histoire du pays l’eau a fait chuter les gouvernements, venir les entreprises étrangères (Suez, en 1997), sortir ces mêmes entreprises (Suez, dix ans plus tard).
On dirait qu’on apprend par à-coups mais sans jamais aller jusqu’aux conclusions. Pour preuve, l’actuel concessionnaire n’a pas assez de moyens.
Il semble que le calcul soit le suivant : faire juste ce qu’il faut pour éviter les manifestations et les sabotages.
Il faudrait calculer autrement.
Il faudrait mettre beaucoup plus d’argent qu’aujourd’hui pour réparer les canalisations, connecter tous les foyers au réseau et les équiper de tous les dispositifs d’économie, récolter et utiliser l’eau de pluie qui s’enfuit par les gouttières, changer les habitudes.
Il faudrait travailler sur tous les flancs de montagne pour récupérer la rosée.
Il faudrait développer toutes les cultures qui filtrent l’eau et la retiennent, l’utilisent, donnent à l’homme le manger et le boire.
Il faudrait une mobilisation générale d’inventions, de coopérations.
Il faudrait commencer par diffuser de toutes les manières possibles l’ensemble de l’information disponible – non seulement sur les eaux, les neiges, les glaciers, les montagnes, mais aussi sur les usines, les tuyaux, les usages – et toutes les voies d’action connues.
Il faudrait. Il y a tellement de possibilités.
*
L’information d’Edson Ramirez a été reprise largement par la presse de langue anglaise. Elle a été reprise par ContreInfo et, de là, relayée sur les sites contestataires régulièrement accusés de désinformation par la presse aux ordres.
Dans ce cas, la désinformation est le fait de la presse officielle - celle qui caviarde Paul Jorion, par exemple - et qui s’est contentée de reprendre sans rien y changer les informations disponibles entre autres sur le site de la BBC - presse qui donne un événement en spectacle, sans passé ni avenir, sans contexte humain ni politique, etc.
L’information aurait pu prendre un autre chemin.
Edson Ramirez travaille avec l’IRD, institut de recherche sur le développement dont le siège est à Marseille.
L’IRD a initié depuis 1991 le programme Great Ice de surveillance des glaciers andins. De nombreux spécialistes boliviens se sont formés à Paris – c’est le cas d’Edson Ramirez – et travaillent aujourd’hui en équipe avec les experts de l’IRD.
Sources :
– ContreInfo.
– Wikipedia
– James Paonter, BBC
– la rencontre de Nicolas Deburge avec Edson Ramirez (29 mars 2009)
– et un article du géographe Sébastien Hardy, « La vulnérabilité de l’approvisionnement en eau dans l’agglomération pacénienne : le cas du sous-système El Alto », Cybergeo, Vulnérabilités urbaines au sud, article 457, mis en ligne le 20 mai 2009, modifié le 20 mai 2009.
Lire les bonnes et mauvaises nouvelles des Grosses têtes de l’art.
Journal de la crise de 2006, 2007, 2008, d’avant et d’après, effondrement jour après jour.
Publication intégrale de 2006 sur le site de Laurent Margantin, Œuvres ouvertes : voir la présentation et le sommaire avec les liens directs vers les épisodes parus.
2006 est publié par publie.net en version papier (numérique incluse) ou en version numérique seule.
Cette note, Chacaltaya, est devenu une des séquences du poème Climats, également chez publie.net.