La poésie est-elle témoin de son époque, ou peut-elle s’engager ?
Tous les poèmes sont témoins de leur époque, fatalement, que ce soit voulu ou non. Et pèsent. Bavardage ou non, prennent de la parole, du temps, de l’énergie. Occupent, dans tous les sens de ce mot.
Et la poésie fait déjà beaucoup sans que le poète y soit pour rien.
Certains poèmes peuvent s’engager dans les débats et s’en sortent et nous en sortent vivants.
Bien d’autres non.
L’écueil est le même que celui connu pour la poésie didactique.
S’il s’agit seulement de mettre de la musique sur les émotions et les opinions du jour ce sera, malgré toutes les postures courageuses et martyres, rien que de la veulerie. De l’acquiescement.
Beaucoup de poèmes dits engagés sont d’acquiescement à des idées dominantes dans un cercle donné.
Il faut passer de la poésie didactique à la poésie d’invention d’idées. On peut faire toutes les poésies dès lors qu’on invente et propose, dans le domaine même qu’on explore. Faites de la poésie d’histoire et proposez vos propres thèses. Dès lors que ce sont des thèses neuves en histoire. Dès lors qu’elles font naître et bouger votre poésie.
Ainsi des poèmes qui s’engagent : c’est-à-dire qui se changent et nous changent dans la traversée des disputes.
La poésie a-t-elle connu des inflexions majeures autour de grands moments historiques contemporains ?
Toujours, non ?
Qu’on se souvienne des poésies du temps de la guerre de 1939-1945.
De tout ce qui a été écrit pour essayer d’oublier les massacres de 1914-1918. Du surréalisme né pendant le conflit.
Les poésies d’après-guerre, essayant à chaque fois de retrouver « l’esprit », comme si ce dont on avait manqué avait été d’esprit.
Et toute la renaissance de la poésie dans les années 1970-1980, comme une des suites de 1968, l’arrivée de nouveaux inventeurs arrachant la parole aux pompeux et aux secs qui les avaient précédés ; et nous sommes encore dans cet élan, n’est-ce pas ?
Que met-elle en jeu aujourd’hui, et peut-elle revendiquer un rôle social plus important ?
Les poésies sont toujours et encore de grandes machines à produire de la pompe, de l’esbroufe et du lieu commun.
Des machines à abstraire et à euphémiser.
Comment écrire qui ne soit, aux crimes, qu’ajouter des bruits et des couleurs ?
Comment écrire des poèmes sans renoncer à leurs puissances et sans étouffer sous leurs ors ?
Il n’y a rien à revendiquer. Même si nous étions nombreux assez pour organiser des défilés.
Si vous vous dites poètes, allez à la rencontre des choses et des gens. Écoutez.
Que les poèmes causent. Qu’ils parlent aux humains.
Et laissez les poèmes se débrouiller. Poètes, ne vous mêlez pas de ça. Lâchez ce qui ne vous appartient pas.
Réponses à un questionnaire espagnol ; lire les autres questions.