Hodann a conquis, contre la volonté du commissaire politique, l’espace d’écoute et de discussion demandé par les soldats blessés, soignés dans son hôpital de campagne de Cueva La Potita - ils veulent comprendre les conflits qui opposent les différentes composantes du camp républicain espagnol. Il raconte, en compagnie de Gomez, un membre de l’association des jeunesses socialiste, l’histoire de l’anarchisme en Espagne. Gomez, en fait, défend les thèses du Parti communiste. On peut deviner qu’il a été flanqué à Hodann pour contrôler et orienter l’exposé.
Les faiblesses politiques et militaires des anarchistes sont, selon Hodann et Gomez, évidentes. Et on comprend l’habileté du Parti communiste qui, d’abord force insignifiante, devient par étapes le parti hégémonique. Une clé de cette progression, ce sont les gages donnés par ce parti à la bourgeoisie : sa politique n’est pas immédiatement révolutionnaire - et cela éclaire en partie ce que fut la terreur stalinienne.
Ce qui suit l’histoire des anarchistes, c’est un silence - le sentiment de la mort, du sacrifice auquel tous sont prêts, envahit l’assemblée, on ne s’en arrache que par des paroles semi-censurées - et l’échange des arguments se termine par une approbation d l’élimination physique des trotskystes, des anarchistes, etc. - de ceux qui "sont un obstacle à l’émancipation de la classe ouvrière". C’est Hodann qui prononce ces paroles. Cela nous surprend de sa part, lui si rusé, lui qui veut comprendre tous les points de vue, qui cherche par tous les moyens à créer des espaces de liberté contre l’emprise stalinienne : est-il sincère ? jusqu’où irait-il pour sauver sa peau ?
Le narrateur, deux de ses amis, ne peuvent continuer la discussion qu’à part, plus loin, sans témoins. Ils sont d’avis divergents.
Ces qualités de parole : un exposé, une discussion contrainte, une discussion libre - et leur juxtaposition même - sont ce qui nous bouleverse, nous ouvre à l’intelligence du moment, de la tragédie historique.