« C’est ici qu’est ma place... » : ces premiers mots de la deuxième partie font de l’Espagne républicaine en lutte contre les armées de Franco le pays du narrateur, le lieu où enfin affronter ouvertement l’oppression.
Nous sommes d’abord à Barcelone et, comme la première partie, le tout début du roman, avait commencé par une visite du musée Pergame, le tour du grand autel abimé, lacunaire, cette deuxième partie commence par le tour de la cathédrale de Gaudi, La Sagrada Familia, une construction inachevée, lacunaire - qui vibre par son inachèvement même.
En cet automne 1937, la mise au pas des anarchistes du Parti Ouvrier Marxiste Uni (le POUM) par les communistes est déjà pratiquement acquise. À Barcelone puis à Albacete, où se trouve le camp des Brigades internationales, les discussions sur la situation militaire et politique ne cessent pas. L’autoritarisme de Marty est repoussant - mais l’autorité, la centralisation de la stratégie et de la tactique ne sont-elles pas des nécessités, les anarchistes n’ont-ils pas perdu plusieurs batailles contre l’ennemi ? Dans un mouvement qui nous est maintenant familier, le narrateur est également attentif aux contestations de l’arbitraire, du secret.
Cette entrée en Espagne, cette entrée dans la guerre par les garnisons et le désordre de villes envahies par la troupe est éclairée par les œuvres : le monument de l’architecte Gaudi, le Don Quichotte interprété par une troupe du « bataillon de talento », une peinture murale anonyme :
On avait peint ce tableau sur un mur grossièrement blanchi à la chaux, dans une écurie sommairement aménagée en cantonnement, sans tenir le moindre compte de la précarité des lieux, il avait été posé là dans les relents de soupe à l’oignon et de tabac noir, il se dressait là, stoïquement, parfaitement indifférent au fait que l’enduit déjà se lézardait de toutes parts, que la fine couche de peinture serait bientôt râpée, grattée, craquelée à cause de l’humidité, des mouvements des moellons grossièrement maçonnés, il se moquait de sa précarité, il donnait, comme le combattant sur le champ de bataille, le maximum de ses capacités, il se présentait là comme s’il avait été peint pour durer longtemps, pour cet étrange laps de temps que nous allions passer en Espagne en une énorme concentration d’énergies, il s’accrochait fermement au mur jusqu’à ce qu’avec notre victoire ou notre chute il ne resterait plus de lui que des taches, les plus obstinées, là où les traits étaient les plus denses, dans les visages, les mains.
L’Esthétique de la résistance, vol. I, p. 214.