Le narrateur sort de son isolement. Quand nous l’avons quitté, le 7 juillet dernier, il venait de retrouver un ancien compagnon des Brigades internationales, dans l’Espagne républicaine, le matelot suédois Rogeby. En écho au portrait de Münzenberg, nous écoutons son histoire d’enfant battu, placé de famille en famille, qui s’émancipe par le travail, la lecture, l’écriture. Sixten Rogeby, membre du Parti communiste suédois, mourut à Stockholm en 1976, il fut l’un de ces ouvriers écrivains dont la Suède fut riche au XXe siècle, et il se peut fort bien que l’écrivain allemand naturalisé suédois Peter Weiss l’ai rencontré à Stockholm, après guerre, et lui ai fait raconter son histoire.
Le narrateur continue d’observer cette société, cherche à comprendre les différences entre les prolétariats suédois et allemand, entre leurs syndicats et leurs partis. Une question se pose partout cependant, celle de l’anti-intellectualisme dans les organisations ouvrières ; pour le narrateur c’est « une tendance réactionnaire, hostile à l’esprit », « quiconque méprise la culture et la compréhension de l’art est hostile au penser » et, de fait, nuit au développement et à l’autonomie intellectuels du mouvement ouvrier.
Dans la dernière partie de cette lecture, sublime scène de nuit dans Stockholm endormie, où résonnent seuls « le bourdonnement des pistons et des courroies de transmission » de la fabrique Separator. Il regarde la ville, il voit les arbres, ou plutôt il sent la sève au travail en eux, « la terre était une sphère qui roulait à travers l’espace », « demain les branches se tendraient vers la clarté ».
Ce n’était au fond rien de plus que ces arbres, là, dans la cour où, il n’y a pas vingt ans, parmi des bandes d’enfants trouvés, se promenaient d’un pas chancelant les vieux dont nul ne voulait plus, les éclopés du travail, et soudain les cris d’une femme qui accouchait dans la baraque basse à côté de la morgue, qui me firent percevoir la vie sensible de notre planète. Je n’aurais d’ailleurs rien pu en dire de plus, ce fut une impression fugitive, le regard en portant loin n’avait suscité qu’une seule idée qui déjà tombait dans l’oubli et me soulagea pourtant, parce qu’elle mettait fin à une longue période où j’étais resté un étranger. Je savais que je n’avais plus besoin de rester seul sur le territoire de l’île, que je pouvais me risquer en ville et la marche que j’entrepris en cette nuit me fit arpenter une dernière fois la retraite que j’avais moi-même choisie. Le signe d’un nouveau départ avait été donné.
L’Esthétique de la résistance, vol. II, pages 118-119.
Ses pas le conduisent au pied de la prison qui se trouve près de la Préfecture de police, où sont retenus deux résistants communistes, Drögemüller et Bischoff.
C’était la mi-février [1939]. Les tentatives pour empêcher l’expulsion de Drögemüller avaient échoué. Il avait été emmené en train à Malmö et sur le bac se rendant à Copenhague il avait été remis contre un reçu aux fonctionnaires danois.
L’Esthétique de la résistance, vol. II, pages 119-120.
Quant à Charlotte Bischoff, avec qui nous avions d’abord parcouru Stockholm, mais de jour, accompagnée d’une « sœur gardienne », elle est libérée...