En 1987 Gérard Mordillat publie un roman qui raconte la guerre civile, une guerre « de basse intensité » comme disent les techniciens de la chose.
En 1987, qui imaginait que moins de vingt ans plus tard, en 2005, un premier ministre à particule, poètouilleux qui plus est, allait décréter l’état d’urgence en réponse à des émeutes en banlieue ?
Gérard Mordillat. À quoi pense Walter ? Calmann-Lévy, 1987, 164 pages, 14,50 €. ISBN : 978-2-7021-1563-3
Ce roman est divisé en deux parties égales : la loi, la guerre. Dans la première Walter a 12 ans, il vient de devenir aveugle, il voit tout rouge ; dans la seconde Walter a 20 ans, il vient de retrouver la vue.
Que voit-il ? À peu de choses près ce qu’il entendait et comptait dans son brouillard rouge. Sauf qu’il va retrouver son copain Hermann en banlieue et qu’il voit les voyous du Front (graffiti : « Ratons, melons, citrons, négrons, Hitler avait raison »), les magasins barricadés derrière leurs murs en parpaings, les voisins planqués et muets. Et maintenant qu’il voit il peut prendre la direction des opérations.
A quoi pense-t-il ? Il est toujours en guerre. Hermann, son co-branleur, fait équipe avec lui, ils sont aviateurs.
Walter, ce rêveur dangereux (« 1ere consigne : se méfier ») découvre sous le canapé le cadavre du père de Sweetie dont elle et Hermann touchent les allocations, vole les bijoux d’une morte rangée dans le refrigerum d’un cimetière d’une autre banlieue, découvre à leur retour dans un appartement souillé par le Front le cadavre humilié de Sweetie.
Donc, c’est la guerre.
Il y a cent et une mille autres choses dans ce court roman, par exemple quelques plaisanteries sur l’est et l’ouest, sur les boy-scouts, sur les piscines, sur les profs de chant et les mères divorcées, etc. etc. - et aussi quelques merveilles comme ce thème de la rencontre rêvée entre le fils et son père, identiques et de même âge, qui ne se sont jamais vus, thème repris et varié trois fois de façon sublime, ou sereine, ou poignante - il doit y avoir un mot, mais aucun de ceux-là.
Vous n’y croyez pas, à la guerre ?
Pourtant, elle vient.
Mordillat le montre, même à ceux qui n’ont pas les yeux encolérés. Son roman dit la montée du chômage et du reste.
Article paru p.118 du n°35 de la revue Plein Chant, printemps 1987.
À quoi pense Walter ? a été réédité en 1994 ; il est toujours disponible.
« Comment, fils d’ouvrier sans diplôme, avez-vous eu justement le culot de vous lancer dans le langage, l’écriture ? » Gérard Mordillat répond à cette question et à d’autres dans un entretien avec Télérama, repris sur le site de la librairie Comme un roman.