
Pascale Fautrier nous emmène dans l’histoire, non vue de haut mais du dedans, d’en bas, aux côtés, à chaque époque, d’un personnage de sa famille – Antoine-Cyprien apprend son métier de forgeron, compagnon sur les routes de France, dans les années 1830 et l’on entend avec lui, comme si c’était aujourd’hui même, les échos, dans la classe ouvrière, de la fusillade de la rue Transnonain, de la révolte des Canuts. On entend le bruit des paroles, murmures ou cris, avec leurs accents, leurs mélodies. On en a la certitude, ces paroles ont bien été dites, d’Auguste parlant bas à l’oreille de Cyprien, bas « parce que l’Orléans, il vient juste de les interdire à nouveau, les sociétés secrètes et les clubs », mot pour mot : « Ce qu’il faut, c’est s’organiser, comme les Égaux de 1797, pour préparer la Prochaine, établir la Seconde, la République démocratique et sociale, par le peuple et pour le peuple. »
C’est familier, c’est physique : on sent comme jamais à quel point n’importe quelle lutte, d’aujourd’hui, d’avant-hier, résulte d’une poussée séculaire, les générations ensemble dans le même effort, la même direction.
Et sans cesse les discussions sur le but à atteindre, sur les chemins pour y parvenir. Ce n’est pas une faiblesse mais effervescence intellectuelle, grande et diverse floraison d’espoirs, reflet du kaléidoscope social, des cultures de métiers, que ces doctrines qui se succèdent, s’affrontent. C’est une des quêtes de ce livre : la recherche de l’unité – et l’on sent une profonde affinité entre l’auteure et Jean Jaurès, le penseur républicain réformiste révolutionnaire – car c’est une nécessité stratégique et tactique, il faut toutes les forces pour déchirer la camisole de la domination – car c’est la seule réponse à l’universalité des aspirations.
Mais nous avons connu, nous connaissons encore dans notre histoire, des moments de profonde division parmi les rouges mêmes, entraînant, malgré la gloire des combats, et peut-être au cœur même de cette gloire, défaites, démobilisations, désarrois – le stalinisme pèse encore, et ce serait une erreur d’en faire la seule affaire du PCF ou d’un autre parti – non seulement parce que cette façon de penser, de décider, d’agir, a trouvé de nombreux imitateurs en dehors de cette organisation et parmi ceux qui prétendaient la combattre, Pascale Fautrier nous le fait vivre avec mordant, mais aussi parce que la recherche des causes et des conséquences s’impose à tous, c’est vital pour nous tous. De ce point de vue, le personnage décisif de la dernière partie du livre est le père de la narratrice, sorti du Parti en 1970 parce qu’il voulait reconsidérer les textes de la pensée marxiste « de tous les pays du monde », « sans a priori dogmatique, en toute indépendance critique ». Ses recherches continuent.
On aime lire ce livre écrit en phrases simples, franches, rapides, et notre lecture va au même rythme : vite, esprit critique en éveil.
Pascale Fautrier, Les Rouges, éditions du Seuil, 2014.
C3V Maison citoyenne a organisé une fête autour de ce livre (rencontre avec l’auteure, lectures, chansons, prise de parole de personnages du livre) jeudi 15 mai au cabaret L’Escale à Migennes. Et, sur le site de C3V, on trouvera une revue de presse écrite et audio sur le livre de Pascale Fautrier.
Lire l’entretien avec Pascale Fautrier sur Yonne Lautre.
Un autre article, écrit pour Cerises, l’hebdo des Communistes unitaires.