Mercredi 14 novembre 2007
Grève dans les transports. Enjeu : les régimes spéciaux de retraite. La bataille d’idées et de mots n’a pas été menée, je ne crois pas que cette grève aboutira à une victoire.
Jeudi 15 novembre 2007
La grève continue dans les transports.
Michel T. fait passer un lien vers un article de Marie-Anne Cohendet. Pour l’universitaire, professeure de droit constitutionnel, le comité Balladur, dont le rapport a été remis le 29 octobre dernier, s’est livré à une « opération de camouflage de l’extension des pouvoirs présidentiels ». Si l’on veut changer de régime, écrit-elle, ce doit être « avec franchise et droiture, et non par une mascarade » :
Comme ils semblent innocents, ces sept mots ! Juste 7 petits mots rajoutés à l’article 5 qui énonce la mission du Président : « il définit la politique de la nation ». Ils sonnent avec la clarté d’une évidence. Un mot est supprimé à l’article 20 : le Gouvernement ne détermine plus la politique de la nation, il se contente de la conduire. On a l’air de se contenter d’aligner la règle sur la pratique. Ainsi, le Président ne violera plus la Constitution quand il dirigera lui-même tous les pouvoirs. Il ne fera que son devoir. Voilà un principe de gouvernement d’une grande simplicité. Si les chefs d’entreprise violent la loi en matière commerciale, on modifie les lois pour leur laisser les coudées franches. Si les employeurs jettent les employés comme des Kleenex en violant le code du travail, on modifie le code du travail pour faciliter les licenciements. Si le Président viole la Constitution en confisquant les pouvoirs du Gouvernement, on révise la Constitution pour lui attribuer personnellement la direction de la politique nationale.
Sur le procédé :
(...) on emploie à nouveau la technique du stroboscope législatif, déjà dévoilée par E. Dockès (« Le stroboscope législatif », Droit Social, n° 9/10, Septembre-Octobre 2005 ; texte repris sur le site de la section de Toulon de la Ligue des droits de l’homme) : on noie une mesure grave sous un flot de mesurettes dont certaines vont en sens contraire. Loin de clarifier le droit, on l’obscurcit en aveuglant les observateurs par de multiples flashes désordonnés.
Et, vers la conclusion, la crise de régime :
Que se passera-t-il en pratique ? De deux choses l’une.
Soit chacun s’inclinera devant la nouvelle puissance présidentielle, et l’on devra convenir que cette réforme a déroulé un tapis rouge à un régime autoritaire.
Soit le peuple et/ou les parlementaires s’efforceront de limiter l’autoritarisme présidentiel. Il y aura alors une paralysie des pouvoirs. Une nouvelle fois dans notre histoire, ce bras de fer conduira à une crise de régime.
Cet article a été mis en ligne le 4 novembre dernier à 20h12 sur un site du journal Libération, je n’avais rien vu, je ne surveille pas non plus la revue Mouvements qui l’avait d’abord publié le 30 octobre, heureusement que les pépites se transmettent. Merci les amis. Mais moi, qu’est-ce que je transmets ? Je m’enfonce dans un fourmillement d’informations et j’en veux toujours plus, je me noie.
Article de Victor Roux-Goeken dans le Journal de l’environnement aujourd’hui, « Dans de nombreux cas le “Grenelle de l’environnement” enfonce des portes ouvertes par l’UE. » Marie-Hélène Aubert est députée (Verts) au Parlement européen, elle explique que la grande loi sur les OGM annoncée pour le printemps prochain ne sera rien d’autre que l’application d’une directive 2001 / 18 / CE sur la dissémination volontaire (cet adjectif en général oublié dans les citations) des OGM dans l’environnement – l’illusion bureaucratique selon laquelle les lois et règlements seront plus forts que les vents et les bises et les insectes vrombissants qui vont d’une fleur à l’autre.
En revanche des mesures simples comme la baisse des vitesses sur autoroute ne sont pas prises ; un recul par anticipation, une précaution qui en annonce d’autres quand il faudra passer aux actes. La redevance sur les poids lourds est déjà appliquée en Allemagne et en Suisse, elle est annoncée ici comme une grande nouveauté, oseront-ils la mettre en œuvre ? Non, non, non, non, je suis sûr que non.
Le plan d’isolation des bâtiments redouble la directive de 2002 sur la performance énergétique des bâtiments (directive 2002 / 91 / CE) et le plan d’action pour l’efficacité énergétique (document COM (2006) 545 final) qui visent une réduction des consommations moyennes des bâtiments de 20% d’ici 2020 par rapport à 1990.
Déjà, appeler cela « Grenelle » était une imposture. L’ensemble de la manœuvre aura le destin indiqué par son nom.
Un article du journal Le Monde qui suit un communiqué de l’AFP qui rapporte une émission de la télévision US CBS, le 13 novembre, mercredi dernier, "Épidémie de suicides" chez les vétérans américains des guerres d’Afghanistan et d’Irak.
Cent vingt morts par semaine. Dix-sept par jour. Au moins 6 256 en 2005. Chez les jeunes de 20 à 24 ans, une proportion de 22,9 à 31,9 suicides pour 100 000, « soit quatre fois le taux de suicide enregistré chez les non militaires pour cette même tranche d’âge ».
C’est la première fois qu’une enquête est conduite dans ce pays, que les additions sont faites et publiées.
Formule extraordinaire de Paul Rieckhoff, ancien marines, fondateur de l’association des Anciens combattants en Irak et Afghanistan pour l’Amérique : « Tout le monde ne revient pas de la guerre blessé, mais au bout du compte personne ne revient inchangé ». “Not everyone comes home from the war wounded, but the bottom line is nobody comes home unchanged”
Les anciens combattants représentent le quart des sans-abris. Ces soldats délaissés, sur les routes, dans les sous-bois, continuant une errance, comme si dans leurs bases, encadrés, aux ordres, déjà ils étaient à la dérive. Selon The National Alliance to End Homelessness, en 2006 il y en aurait eu 195 827 - mais comment font-ils pour avoir ce chiffre alors qu’il y en a plusieurs, derrière les feuilles de cet arbre, qu’ils n’ont pas vus ?
Je revois la gravure de Jacques Callot, dans ses Misères et Malheurs de la guerre de 1633, sur les errances de soldats après guerre, « Les mendiants et les mourants sur le bord des routes ».
Définitivement séparés des vivants.
Dans le même journal, « Le coût des guerres en Irak et Afghanistan pourrait atteindre 2 400 milliards de dollars d’ici à 2017 ».
C’est un rapport officiel du Bureau du budget du Congrès américain (CBO) sorti le 24 octobre – pourquoi n’en parle-t-on qu’aujourd’hui ?
L’addition : 1 700 milliards de dollars de coûts directs selon le cours estimé de la guerre, et y ajouter 705 milliards pour payer les intérêts d’emprunts. Jusqu’en 2017. Joseph E. Stiglitz, et Linda Bilmes avaient estimé ces coûts à 2000 milliards jusqu’en 2010, c’est bien plus élevé. Ils prennent en compte plus de coûts réels, par exemple le « coût d’une vie » : ce qu’une vie perdue coûte en assurance vie et en prime de deuil (je traduis ainsi « death benefit ») à la famille. Mais prennent-ils en compte, aussi, autres exemples, les frais psychiatriques engendrés par les terreurs et les hurlements de nuit des anciens combattants revenus pourtant sans blessure apparente ? Et les coûts de charité aux sans-abri ? Rien vu de ce genre dans leur article. Encore un effort.
Le papier de Stiglitz et Bilmes fait 36 pages, le rapport au CBO, pages de titre et de couverture solennelles comprises, en fait 16.
Le Monde, article de Cécile Chambraud, « Le ralentissement de l’immobilier fait fléchir la croissance espagnole ». Quand même, c’est gonflé, employer ce mot « ralentissement », il est formé sur « lenteur » n’est-ce pas ? Et que dire de « fléchir » ? Pourquoi pas « légère inflexion » pendant qu’ils y sont ? Alors que l’économie espagnole est en train de lourdement chuter et qu’elle vise le gouffre.
Mais, dans le corps de l’article :
Le ralentissement brutal de l’immobilier est illustré par d’autres données récentes. Le nombre de prêts accordés en août pour l’achat de logements a chuté de 11,22 % par rapport au mois d’août 2006 et, en dépit de montants moyens en hausse, les sommes totales prêtées ont reculé de 5,82 %, selon l’INE. Le nombre de visas donnés par les architectes pour toute nouvelle construction, entre janvier et août, a baissé de 12,4 % par rapport à la même période de 2006. Pour le seul mois d’août, le recul est de 39 %. Entre juillet et septembre, les prix du logement n’ont quasiment pas bougé (+ 0,3 %).
« Brutal », « chuté », et ces mots sont qualifiés de proportions dramatiques : 11,22 %, 5,82 %, 12,4 %, 39 %.
On dirait qu’il y a deux rédacteurs : le chef qui fait les titres, qui euphémise, la journaliste qui donne sérieusement à rêver aux milliers d’ouvriers et d’employés qui doivent quitter chantiers en cours et bureaux sans clients.
Le patron de Northern Rock, Adam Applegarth, vendait deux millions six cent mille livres d’actions, au cours le plus haut, jusqu’en janvier de cette année, en même temps qu’il poussait ses employés à acheter, histoire de faire monter les cours, et alors qu’il savait bien, largement, que l’entreprise qu’il dirigeait allait vers de graves difficultés.
Reuters, 23h02, les indices boursiers US en baisse : Dow Jones de 0,91%, Standard & Poor’s 500 de 1,32%, et Nasdaq de 0,98%. Pourquoi ces baisses ? Une déclaration aurait fait de l’effet, celle du directeur général de Wells Fargo & Co, John Stumpf, pour qui « la crise de l’immobilier américain est la plus importante jamais connue depuis la Grande Dépression de 1929. » Il a ajouté qu’elle était « loin d’être terminée. »
Version initiale des notes prises les 14 et 15 novembre 2007. La version publiée du jeudi 15 novembre est nettement plus courte. On trouvera aussi dans ce chapitre des notes prises les 12 et 16 novembre 2007.
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Journal de la crise de 2006, 2007, 2008, d’avant et d’après, sommaire des notes reprises sur ce site, publiées ou inédites : effondrement jour après jour.
Publication intégrale de 2006 sur le site de Laurent Margantin, Œuvres ouvertes. Voir la présentation et le sommaire avec les liens directs vers les chapitres.
On trouve l’édition définitive de ce premier volume, 2006, chez publie/net (papier et numérique) ; la version papier se commande en librairie.
Quelques-unes de mes sources.
Un entretien à propos de ce Journal.