Jeudi 6 septembre 2007
Blogue de Colin Robertson , The Truth About Mortgage, la vérité sur les prêts immobiliers. Countrywide (« à l’échelle du pays » ?), une des toutes premières sociétés de prêts immobiliers, on annonce de très mauvaises nouvelles : ils vont licencier la moitié de leur personnel qui travaille au bureau de West Hills en Californie. D’une « autre source », 200 licenciements à Tampa. Et à San Diego. Ils auraient fermé cent bureaux de “Full Spectrum Lending”, leur département subprime. Encore une autre source parle d’un plan de 20 000 licenciements.
Countrywide : on est passé des faillites traquées par le ML-Implode-O-Meter, sociétés grosses plus ou moins, aux noms pompeux, à un très gros poisson que personne ne peut ignorer.
Cela donne un gros titre : Major Layoffs Reported at Countrywide - Licenciements massifs à Countrywide. Le nom de la société, qui fut une fierté, donne aujourd’hui l’échelle de la tragédie : étendue au pays entier.
Ambiance de guerre : on donne des nouvelles du front, les informations confidentielles sont publiquement partagées, sont rassemblées en une seule conclusion. Pour illustrer l’article, des flammes.
Flammes, flammes de même forme à grande et à petite échelle, flammes fractales, croyances et attentes forgées collectivement, pensées liquides, gazeuses, projetées en courbes belles, irrégulières, exsudant des régularités, communes exclamations des rêves de richesses et des peurs de chute, de honte, de blessures d’amour-propre, la hausse qui nous disait notre génie, la baisse qui nous dit notre indignité et dans l’euphorie comme dans la honte souffler le plus fort possible, faire le plus de bruit possible afin de n’entendre pas les soupirs de stupeur des perdants mis à la rue.
En passant je saisis une analyse de l’indice boursier de Paris, le CAC 40, avec un plateau en juin juillet et tout de suite, courant juillet, une chute avec rebond, une chute qui ne demande qu’à continuer : ces messieurs-dames ont besoin d’argent, ils vendent à n’importe quel prix même si ça baisse.
Après la vue d’ensemble, vue de détail, tour du côté du journal Les Échos, leur suivi de la bourse. Les joies de la simultanéité. C’est drôle de lire le gros titre : La bourse repart dans le vert à 11 :54 alors qu’en même temps on voit s’afficher :
qui dessine une belle descente.
Quand je reviens à cette page, à 12 :34, je me rends compte que la déclaration « verte » a été remplacée prestement, exactement en lieu et place, par cette autre : La bce injecte 42 milliards d’euros avant de rendre son verdict sur les taux. Quant au graphique, oui, il plonge :
Les attaques informatiques chinoises contre l’Allemagne et les USA, mais aussi l’accord USA – Corée du Nord, mais aussi la Chine qui se débarrasserait autant qu’elle peut de ses dollars, disent : la Chine reprend possession du continent asiatique, vous perdrez une à une vos bases militaires dans ce continent et tout ce qui va avec.
La Chine se débarrasserait…
Un bel article du Telegraph, typique d’un des styles de crise, le style fantomatique : on ne sait pas si la Chine est derrière ces ventes de dollars... peu importe... on sait qu’il faut se débarrasser du dollar, la plupart des experts disent que le déficit américain de 850 milliards ne peut que produire une ’’relentless slide’’, une glissade ininterrompue, etc.
Ressassement vague et las de ce qui est déjà devenu lieu commun et qui était impensable il y a un an. Une fatigue qui oriente les attentes.
La fièvre se propage d’autant plus vite que, semble-t-il, l’attention est focalisée sur le problème à résoudre d’urgence en relation avec sa seule cause immédiate. Par exemple dans le Financial Times d’hier soir :
Market makers convened a number of emergency phone conferences in order to help set new trading levels and drastically increased the spread, or gap, between bid and offer prices they were willing to publish.
Conférence téléphoniques d’urgence pour essayer d’établir des prix pour le “covered bonds” (obligations couvertes – obligations garanties sur les prêts immobiliers) : l’écart entre offre et demande est trop grand, etc.
Paul J Davies. Published : September 5 2007 22:16
Urgence : les réunions téléphoniques entre « market makers », faiseurs de marché - tandis qu’en arrière-fond se forme une immense et indéfinie vague qui engloutira tout.
C’est la superposition de cette tension extrême dans l’instant et d’un arrière-plan d’incendie - de chiffres précis ici, de nombres immenses et mal connus là-bas - qui produit la déflagration.
Même si ! Disent-ils.
Selon le secrétaire adjoint au Trésor, les marchés pourraient être loin d’avoir touché le fond, même si une crise systémique ne semble pas d’actualité.
La Tribune.fr - 05/09/07 à 18:27
C’est depuis des mois la façon de déclarer la prochaine étape ouverte : dire qu’elle n’adviendra pas ; ce faisant, la nommer – et elle advient.
Le nom de la prochaine, c’est : « crise systémique ». C’est ce qui adviendra. Ce qu’ils prévoient ? Ce dont ils parlent entre eux. Ce qui ne peut pas ne pas sortir de leur bouche. Juste, avec ces correctifs : a/ précédé d’une clausule de minoration : « même si » ; b/ suivi d’une dénégation : « ne semble pas d’actualité ».
Et tout le monde entend. La question est : parmi les innombrables qui entendent, combien et lesquels maintiennent le silence intimé par le « ne semble pas d’actualité » ?
Phil de Jonckheere, extreme_droite.txt :
6/09/2007 : A Colmar, le Président Sarkozy a dit : « À la fin du mois, celui qui travaille ne peut pas avoir la même situation que celui qui ne travaille pas », faisant référence, une fois de plus aux chômeurs qui ne veulent pas travailler, et promettant un « gigantesque plan contre la fraude ».
C’est le voleur qui crie « Au voleur ! »
Dimanche 9 septembre 2007
Un article de Michael Lewis, mercredi 5 sur Bloomberg, signalé par Calculated Risk http://calculatedrisk.blogspot.com/2007/09/poor-people-are-sharks.html (Bill McBride) comme « hysterical » : « Poor People Are Sharks », Les pauvres sont des requins. Plus exactement, la dernière phrase de l’article de Lewis : « Mais plus jamais je ne ferai de transaction en seul à seul avec des pauvres. Ce sont des requins. »
En résumé, traduction personnelle.
Juste après la chute des fonds de Bear Stearns une idée lui est venue : c’est ce qui arrive quand on prête de l’argent à des pauvres.
Il n’a rien contre les pauvres, rien de personnel. Quand un gars tond votre pelouse, ça n’a rien de personnel, c’est le bizness. Il fait ce que vous lui demandez, il est payé. Mais jamais en avance. Ce serait de la finance. Et, de la finance, c’est ce qu’il ne faut jamais faire avec les pauvres. Par pauvre il entend toute personne à qui la Commission des opérations de Bourse interdirait d’investir dans son fonds spéculatif.
Depuis que les pauvres ont torpillé son portefeuille, il a eu encore quelques idées sur les pauvres, il les partage avec nous.
1) Ce sont des maîtres en relations publiques.
Il a acheté des titres de subprime. Maintenant ce sont eux qui sont plaints, pas lui. Alors même que c’est mon argent ! Et aucun d’entre eux n’est puni.
2) Les pauvres ne respectent pas l’argent des autres.
Vous pouvez dire qu’il est un romantique. Il voudrait que chacun, tout le monde, ait accès au rêve américain. Il a fait tout ce qu’il a pu pour que chacun ait sa place. Et maintenant les médias disent que sa générosité est un scandale. Les Teaser rates ne sont pas un scandale. Ce furent seulement les signes d’une confiance mal placée. Il leur faisait confiance de faire contrôler le contrat, avant de le signer, par des équipes d’avocats. Mais si vous êtes pauvre vous n’avez pas besoin de payer d’avocat. Si le contrat ne vous plaît pas il vous suffit de tendre les mains en l’air et de gémir à quel point vous êtes pauvre. Et ensuite, vous faites défaut.
3) Il a été élevé à l’écart de la culture des pauvres.
Il ne leur viendrait pas à l’idée qu’ils pourraient TRAVAILLER PLUS DUR [les capitales sont de l’auteur] pour le rembourser. Mais la première règle en affaires est de bien jauger les gens avec lesquels vous commercez.
C’est de sa faute, concède-t-il. Il aurait dû mieux étudier les pauvres avant de leur prêter de l’argent C’est comme les lions, au zoo : quand vous les regardez dans leur cage, vous pensez à eux comme à des chats. Vous oubliez qu’ils peuvent vous manger.
4) Notre société est vraiment, vraiment hostile au succès. Et, dans le même temps, de façon choquante, indulgente pour les pauvres.
C’est un Président républicain, maintenant, qui veut les renflouer ! Lui, Lewis, a une autre proposition. La prison pour dettes c’est évidemment trop rétro et ce serait gâcher l’argent des contribuables. Mais les pauvres pourraient travailler pour rembourser leurs dettes. Dans tout Greenwich il voit des pelouses qui ne demandent qu’à être tondues, des maisons à peindre, des voitures de sport à mettre au point. Certains de ces pauvres doivent avoir ces qualifications. Et les autres pourraient être formés à des tâches moins qualifiées – disons, travailler comme clown pour les anniversaires des gosses des riches. […]
Transporter des quartiers entiers à Manhattan et au Connecticut pourrait paraître impraticable mais ce ne l’est pas : au Mexique on fait ça tous les jours. Et, à long terme, ce serait bon pour les pauvres. Peut-être même ne resteraient-ils pas pauvres.
5) Il pense qu’il est temps d’être plus réaliste à l’égard des pauvres et qu’on ne les laisse plus s’approcher de Wall Street.
Prêter de l’argent aux pays pauvres était une mauvaise idée. Et cela a-t-il plus de sens d’en prêter aux pauvres ? Ils n’ont même pas de minerai à exploiter !
Il y a une raison pour laquelle les riches ne deviennent pas aussi riches qu’ils le devraient : ils n’ont toujours pas de rapports clairs avec les pauvres. Ce ne serait pas réaliste que Wall Street coupe toute relation avec les pauvres. Il y a toujours des affaires à faire avec les masses. Mais seulement quand elles se présentent groupées, prenant alors l’apparence d’une personne riche. Il acceptera toujours les fonds de retraite, par exemple [il ajoute : « mais rien en dessous de 50 millions de dollars, s’il vous plaît »]. Et il veut bien toujours financer l’achat de firmes qui emploient essentiellement des pauvres. Il a même fait des affaires avec Milken, avant qu’ils ne le cassent. […]
Mais plus jamais il ne fera de transaction avec des pauvres un par un. Ce sont des requins.
Lewis nous offre une variante de la vieille rhétorique des voleurs ou des violeurs qui rejettent la faute sur les volés ou les violés. Quant aux dégâts, ils seront toujours moins élevés, pour nous qui faisons les lois et les juges, que pour la masse des niais et des grugés.
Peu importe qu’il y ait du second degré dans sa charge. Peut-être s’est-il grimé en financier insensible et cupide. On dirait qu’il s’est inspiré de la célèbre Modeste proposition pour empêcher les enfants des pauvres en Irlande d’être à charge à leurs parents ou à leur pays et pour les rendre utiles au public de Jonathan Swift. Les clowns aux anniversaires, le transport de quartiers entiers « to upper Manhattan and lower Connecticut », y font penser. Mais caricaturer c’est dépeindre, tellement bien que Calculated Risk, Bill McBride, s’en indigne, ne voit ni l’ironie ni la charge. C’est que les modèles sont aussi grotesques et insensés que cela. La peinture est faite et les connaisseurs reconnaissent.
C’est cela. La catastrophe est à peine révélée qu’on voit se mettre en place tout de suite, immédiatement, les explications les plus courtes, celles qui donnent les chaînes de relations de cause à effet les moins longues possibles. L’urgence peut-être impose d’aller puiser dans les fonds disponibles, d’apparente condamnation, d’apparente explication. Ici, la morale et la psychologie à deux sous écartent toute évaluation des stratégies commerciales, toute enquête sur leur mise en œuvre. Or, ces stratégies appliquées par des milliers d’employés impliquent procédures, apprentissages, objectifs à atteindre, critères d’évaluation, contrôle de l’exécution, amélioration continue des process de vente. En peu de mots : intention, volonté, organisation, responsabilité.
Ne jamais remonter trop loin, trop haut. Stupéfier. Amuser, stupéfier.
Il faudrait un peu plus de morale dans tout ça, en effet. De celle qui est alliée à la raison et qui broute patiemment, d’un nœud à l’autre, remontant les relations de cause à effet, leurs ramifications, boucles, renforcements, autoréférences, leurs folies stridentes.
Il y a aussi cette allusion à Michael Milken, à la fin de l’article. Je crois que c’est l’inventeur des junk bonds, les obligations pourries, non ?
Jeudi 6 septembre 2007 : version initiale des notes prises ce jour, la version publiée sera nettement plus courte... Dimanche 9 septembre : les notes prises sur l’article de Michael Lewis (et sa traduction à la volée) donnent le titre du chapitre : « Les pauvres sont des requins ». Ce chapitre comprend aussi des notes prises les 3, 5, 7 et 8 septembre 2007.
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Journal de la crise de 2006, 2007, 2008, d’avant et d’après, effondrement jour après jour.
Publication intégrale de 2006 sur le site de Laurent Margantin, Œuvres ouvertes. Voir la présentation et le sommaire avec les liens directs vers les chapitres.
Ce premier volume, 2006, a été pubilé chez publie/net (papier et numérique) ; la version papier se commande en librairie.
Quelques-unes de mes sources.
Un entretien à propos de ce Journal.