Version modifiée et augmentée d’un éditorial du site associatif d’information YonneLautre et début d’une série d’articles qui pourraient devenir le premier chapitre de Après. La présente version n’engage que moi.
La nature de ce coranavirus est telle que chaque manquement gouvernemental a des conséquences sanitaires exponentielles. Les conséquences politiques pourraient être du même ordre.
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Le coronavirus est extrêmement contagieux ; il peut être la cause d’un très grand nombre de morts, bien au-delà des chiffres habituels de la grippe saisonnière.
Quant aux pouvoirs publics, fidèles à leurs habitudes de cachotterie (nuage de Tchernobyl, fumées de Lubrizol, etc.) et mettant en priorité leurs politiques de destruction des solidarités collectives (les nouvelles lois sur l’indemnisation du chômage, sur les retraites), ils réagissent avec plusieurs temps de retard et pilotent à vue.
Toutes ces données expliquent une évolution très rapide de la situation.
On se limitera donc, dans cet article, à faire le point, selon les informations disponibles jusqu’au mercredi 18 mars tôt le matin, sur :
- la gravité de l’épidémie ;
- son aggravation du fait des politiques publiques de santé ;
- son aggravation du fait du comportements des dirigeants politiques (déni, mépris de classe, peur des conséquences politiques et juridiques pour eux-mêmes) ;
- ses conséquences prévisibles sur les plus vulnérables.
La rédaction de YonneLautre se propose d’aborder, dans de prochains éditos, d’autres aspects de cette crise :
- les origines du virus et les causes de son expansion ;
- le « soutien aux entreprises » et les aggravations des politiques de pauvreté ;
- les relations de causes à effets entre les crises sanitaire, écologique et économique ;
- les solidarités et les luttes collectives dans un temps de chacun chez soi.
La gravité de l’épidémie
Le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, a affirmé dimanche 15 sur France info que l’épidémie de coronavirus toucherait « probablement » plus de la moitié de la population française. Conformément à son style, l’homme a été aussi approximatif que pontifiant. Peut-être plus de la moitié, peut-être le quart, on ne sait pas. Il eut été plus précis et honnête de dire qu’il s’agit de simulations – et qu’elles coïncident, pour l’instant, avec les données rapportées par le réseau de surveillance épidémiologique « Sentinelles ».
Voici ce que rapporte le journal Le Monde du 15 mars, dans un article de Chloé Hecketsweiler et Cédric Pietralunga : « Selon des modélisations confidentielles préparées par des experts regroupés à la demande du président de la République [le « conseil scientifique »], dont Le Monde a eu connaissance, l’épidémie de Covid-19 pourrait provoquer, dans le pire des cas en France, en l’absence de toute mesure de prévention ou d’endiguement [souligné par nous], de 300 000 à 500 000 morts. »
« Précision extrêmement importante : ce scénario a été calculé en retenant les hypothèses de transmissibilité et de mortalité probables les plus élevées, et ce en l’absence des mesures radicales de prévention et d’éloignement social qui viennent d’être prises. Dans ce cas de figure, entre 30 000 et 100 000 lits de soins intensifs seraient nécessaires pour accueillir les patients au pic de l’épidémie. »
« Il existe des incertitudes quant aux hypothèses retenues et au comportement du virus – pourcentage d’asymptomatiques, transmissibilité, impact des mesures de quarantaine – mais, « même en divisant par deux, trois ou quatre, c’est une situation très sérieuse », insiste Simon Cauchemez, l’épidémiologiste de l’Institut Pasteur qui a présenté ces modélisations. »
« ‘‘S’il y a une situation où je serais heureux que les modèles se trompent, c’est celle-là’’, ajoute le scientifique, en insistant sur le fait que les observations de terrain coïncident avec les prédictions du modèle et ont tout autant concouru au processus de décision. »
L’avis du Conseil scientifique en question, présenté au président et aux ministres concernés le jeudi 12 mars a été rendu public le lundi 16 mars sur le site du ministère.
Quelques heures après cette réunion avec le Conseil scientifique, le président prenait solennellement la parole devant les Français pour déclarer « l’urgence » de la situation.
Viralité, mortalité et conséquences pour le système de santé publique
Le virus se répand très rapidement, une personne atteinte en contamine plus de deux autres. La courbe de progression de l’épidémie est donc une exponentielle.
Pour saisir ce qu’est une exponentielle, il suffit de se souvenir de la légende de Sissa, l’inventeur du jeu d’échecs. Le roi veut le récompenser, le savant lui demande modestement des grains de blé, qu’on compterait ainsi : sur la première case d’un échiquier (8x8=64 cases), poser un grain, deux sur la suivante, puis 4, puis 16, et ainsi de suite, jusqu’à la soixante-quatrième. Bêtement le roi (une sorte de Macron, si vous voulez) accepta. On ne put jamais remplir l’échiquier, il n’y avait pas assez de grains dans tout le royaume.
Dans une épidémie, cela veut dire qu’il faut intervenir tout de suite, alors que l’épidémie est « peu grave » en nombre de malades. Sinon, très vite, elle vous échappe. Chaque jour de retard multiplie le nombre de malades, de morts, etc.
La haute viralité du coronavirus est due :
- à sa nouveauté pour l’homme (mutation d’un virus abrité par des chauve-souris puis par des pangolins) et donc l’absence d’immunité pré-existante ;
- à ses caractéristiques intrinsèques ; ainsi, une étude menée par le National Institute of Allergy and Infectious Diseases (NIAID), publiée mardi 17 mars par le New England Journal of Medicine (voir le communiqué de Reuters) montre qu’il peut être détecté, si les micro-goutellettes se sont déposées sur des surfaces de plastique ou d’inox, jusqu’à trois jours après leur projection… sur le carton, le virus reste viable après 24 heures, sur le cuivre il est désactivé en quatre heures.
Selon le Conseil scientifique on constate :
- « un doublement tous les 4-5 jours du nombre de cas confirmés sur le territoire national, indiquant une dynamique épidémique similaire à ce qui a été observé en Chine et en Italie (…) ;
- « un risque de saturation rapide des services de réanimation dû 1) à la dynamique épidémique exponentielle et 2) aux durées de séjours prolongées prévisibles en réanimation pour une infection grave COVID-019. Pour des pathologies similaires (SDRA) la durée de séjour en réanimation est de l’ordre de 3 semaines dont 2 semaines de ventilation mécanique.
- « Si on laisse le virus se propager dans la population, étant donné sa forte transmissibilité, on s’attend à ce qu’au moins 50% de la population soit infectée après une ou plusieurs vagues épidémiques (Anderson et al, 2020). Pour un niveau de mortalité qui est actuellement estimé à 0.5-1% [c’est ce qu’affirme le Conseil scientifique contre les connaissances déjà établies, il minimise le danger], cela correspond à des centaines de milliers de morts en France avec une surmortalité importante due à la saturation des services de réanimation (Anderson et al., 2020). »
La population française est d’environ 67 millions. Autrement dit, si on applique seulement le taux de 0,5 % à la moitié de ces 67 millions, soit 33,5 millions, on obtient environ 167 000 morts, et le double, environ 335 000, si on retient une mortalité de 1 %, etc. Il est aujourd’hui admis que ce taux est de 2 % environ - 2,3%, « d’après une vaste étude chinoise, en attendant, connus par l’extension de l’éprouvante expérience mondiale que nous tous vivons, d’autres chiffres et leurs variations selon les âges, selon les maladies associées, selon les classes sociales et donc les conditions d’habitation etde cohabitation, selon l’état des systèmes de santé...
Si on parvient à baisser le nombre de personnes contaminées, ces chiffres diminuent, d’où les mesures de confinement. Si le système de santé ne peut faire face, la mortalité augmente, et ce sont les politiques d’étranglement systématique, méthodique, de l’hôpital public menées depuis, au moins, le milieu des années 1980, accélérées de façon ignominieuses par le gouvernement Macron, qui sont en cause, d’où les dénis et la fébrilité du président et de ses subordonnés et partisans qui feront tout pour échapper au procès qu’ils méritent.
L’aggravation des conséquences de l’épidémie du fait des politiques publiques de santé
Mardi 10 mars, le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, a annoncé que 5 000 lits de réanimation étaient disponibles en France et 7 364 lits dans les unités soins intensifs, 12 364 lits au total. L’afflux grandissant de malades qui doivent bénéficier de soins intensifs pendant deux à trois semaines est tragique. D’autant que la capacité de soins sera diminuée par l’épuisement des personnels et par la contamination de nombre d’entre eux.
La ministre de la santé Agnès Buzyn laisse derrière elle un hôpital public dévasté, avec des services d’urgence en grève hurlante depuis près d’un an. En 2018, 4200 lits avaient été supprimés. D’après le « Panorama des établissements de santé », publié en 2019 par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), du ministère de la Santé, 69 000 lits ont été supprimés entre 2003 et 2017 (30 000 en court séjour, le reste en long séjour) ; le rapport est lisible sur le site de cette direction.
« La France n’a que trois lits en soins intensifs pour 1.000 habitants pour mener la guerre contre le Covid-19 » titre, ce mercredi 18 mars, La Tribune, un quotidien destiné aux patrons et à leurs cadres. Plus exactement, 3,1 lits, à comparer au Japon (7,8 lits pour 1.000 habitants), à la Corée du Sud (7,1) et à l’Allemagne (6).
Pour s’en tenir aux seuls hôpitaux parisiens, rapporte Le Monde du 17 mars – « article réservé aux abonnés » - n’est-ce pas le genre d’article qui devrait être disponible à tous ? – des médecins réunis le samedi 14 mars au siège l’Assistance-publique Hôpitaux de Paris (AP-HP) ont estimé que « si les premières mesures d’atténuation de l’épidémie n’étaient pas efficaces, et en l’absence de dispositions plus contraignantes d’« endiguement », il faudrait entre 3 000 et 4 000 lits de réanimation simultanément pour faire face à l’afflux de patients. » Rappelons-le, il y a 12 364 lits en tout et pour tout en France aujourd’hui. Et tous ces lits ne doivent pas accueillir que les seuls malades du coronavirus. La perspective est catastrophique.
L’étouffement systématique de l’hôpital public est connu d’expérience par les usagers et grâce aux luttes menées par les personnels, relayées notamment, par leur collectif inter-hôpitaux. Il est connu également par des travaux universitaires écrits sans jargon et pour être lus par tout un chacun.
Aux faits et aux luttes le président et sa ministre ont opposé le déni, le silence et le dédain. Nous ne pouvons oublier que le 6 avril 2018, lors d’une visite décorative du CHU de Rouen pour y annoncer un « plan autisme », à l’interpellation par une infirmière : « il faut des lits, il faut du personnel », M. Macron répondit : « il n’y a pas d’argent magique ».
Entendre, aujourd’hui, président et premier ministre saluer le courage des soignants et les remercier avec émotion, cela sonne étrangement. Ce sont les mêmes qui envoyaient la police, il y a à peine quatre semaines, pour les gazer au lacrymogène, pour les cogner et les matraquer dans les manifestations.
L’aggravation de l’impact de l’épidémie du fait du comportements des dirigeants politiques
En janvier, en février, la priorité était au passage en force de la contre-réforme des retraites et aux élections municipales. Le débat parlementaire mettait au grand jour les dangers de la contre-réforme. Le 24 janvier, le Conseil d’état publiait une analyse de ce projet qui en soulignait les risques d’invalidité. La légitimité du gouvernement, dans la rue et dans les institutions, était en cause. Le mot d’ordre était : pas d’autres désordres, pas d’autres vagues.
Mme A. Buzyn, ministre de la santé, déclarait, le 20 janvier 2019 : « Le risque d’importation depuis Wuhan est modéré. Il est maintenant pratiquement nul puisque la ville est isolée », disait-elle. « Les risques de propagation du virus dans la population sont très faibles » (voir par exemple Le Parisien).
Mais aujourd’hui le risque est évident et énorme. Comment se garder des accusations d’inaction, d’irresponsabilité ? Comment justifier le retard et la rudesse des mesures prises ? Prétendre, par exemple, qu’on a agit tout de suite. Édouard Philippe, premier ministre, sur France 2 mardi 17 au soir : « Nous avons pris des mesures fortes dès la mi-janvier » - alors que rien n’était fait pour augmenter la disponibilité de masques, de gel hydroalcoolique, de systèmes d’assistance respiratoire...
Un virus accusateur
Que se passe-t-il dans la tête, dans le cœur de ceux qui savent, qui n’en disent rien et qui décident ? Mme A. Buzyn, ci-devant ministre de la santé, a fait quelques aveux – ou bien quelques mensonges, pour se décharger de ses responsabilité sur le président et le gouvernement ? C’est dans le journal Le Monde du mardi 17 mars 2020, article d’Ariane Chemin réservé aux abonnés (mais sa teneur a été reprise par de nombreux organes de presse et provoque des polémiques, dont certaines, sur BFM notamment, contre Agnès Buzyn elle-même…). Voici ce qu’elle dit :
« Depuis le début je ne pensais qu’à une seule chose : au coronavirus. On aurait dû tout arrêter, c’était une mascarade. La dernière semaine a été un cauchemar. J’avais peur à chaque meeting. »
« Quand j’ai quitté le ministère [le dimanche 16 février], assure-t-elle, je pleurais parce que je savais que la vague du tsunami était devant nous [mais ce qu’elle déclarait ce jour, devant micros et caméras, c’est qu’elle était émue de quitter ce ministère où elle avait vécu ‘‘des expériences extraordinaires’’]. Je suis partie en sachant que les élections n’auraient pas lieu. »
« Je pense que j’ai vu la première ce qui se passait en Chine : le 20 décembre [souligné par nous] un blogue anglophone détaillait des pneumopathies étranges. J’ai alerté le directeur général de la santé. Le 11 janvier, j’ai envoyé un message au président sur la situation. »
En conclusion de sa confession : « Je dis toujours : “Ministre un jour, médecin toujours”. L’hôpital va avoir besoin de moi. Il va y avoir des milliers de morts. »
Certes, « il va y avoir des milliers de morts », madame Buzyn. Et vous n’y serez pour rien ?
Les conséquences prévisibles de l’épidémie et du confinement sur les plus vulnérables
Qui a le plus de chances de mourir actuellement ? Les pauvres, les abandonnés, les réfugiés entassés dans des camps inhumains en Grèce, en Irak, en Turquie, en Lybie. Les détenus en prison dans des cellules surpeuplées. Les « sans-domicile fixe ». Les « riens », les « sans-dents » confinés dans les quartiers tandis que ceux qui le peuvent sont partis à la campagne. Les mineurs isolés.
Comme le rappelle l’association Droits d’urgence, « pour rester chez soi, il faut un chez soi. ». Il y a « urgence à débloquer des moyens supplémentaires pour les associations qui interviennent sur le terrain. Urgence à aider les collectivités locales qui organisent le confinement des personnes sans abri. »
M. Macron a tenu à faire de l’éloquence en répétant « Nous sommes en guerre ». Nous savons que les guerres voient surgir plus de fraternité. Nous savons aussi que s’y font de nouvelles et colossales fortunes.
Alors, dans l’immédiat, et pour nous préparer aux combats futurs, prenons soin de nous et des autres. Exigeons que le système public soit payé de salaires, d’embauches, de créations de lits, plutôt que de mots et de larmes feintes ou non feintes. Préparons les prochaines luttes collectives pour plus d’humanité. Prenons le temps de nous parler, certes par téléphone, ou de loin, à un mètre de distance… Prenons le temps qui nous est donné pour lire les enquêtes et les livres qui nous font mieux comprendre, qui alimentent les joies de vivre ensemble, de goûter le printemps qui vient. Et toutes ces choses à exiger, à réaliser, un travail ouvrier et dans les services publics débarrassés de la gestion par la terreur et débarrassés des petits hommes gris qui la mettent en œuvre, débarrassés de la bureaucratie de surveillance inepte qui en vérifie la bonne application en conformité avec les directives, les cultures vivrières inventives et non plus antibiotiques, la vie bonne dans une nature qui renaît sans cesse, le ciel non plus grillagé des traînées de vapeur blanche des aéronefs, les étoiles et galaxies visibles la nuit dans un ciel débarrassé des lumières commerciales et sécuritaires, toutes ces choses qui étaient repoussées d’un revers, qui paraissaient si marginales, brillent, aujourd’hui, de plus d’évidence. Il y a bien du travail et des bonnes choses à partager devant nous.