Lundi 15 octobre 2007
Dans les journaux trouvés dans l’avion, nouvelles triomphantes du meeting anti-ADN. Sur ce point, large opposition. Des artistes célèbres et beaux (mais je ne peux pas trouver Carla Bruni belle), des politiques de la gauche à la droite. L’un d’entre eux : « On n’aimerait pas faire le boulot d’Hortefeux ».
La politique : profiter de cette occasion, large opposition, gêner le président, mettre l’indignation et les bons sentiments de son côté. Pour cela, se concentrer sur l’amendement qui choque et révolte, ne pas trop parler du reste – et donc le laisser passer. Donc : on ne se bat pas contre « immigration choisie ». Donc : on accepte cela. On fait un grand meeting tonitruant et humain qui laisse passer cela.
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Mardi 16 octobre
Vers Tokyo : la campagne intermittente par les fenêtres du train.
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Dans les journaux, ici probablement plus qu’en France, nouvelles de la campagne électorale pakistanaise, photos de la belle Benazir Bhutto, une espèce de vedette, actrice, noble port de tête, femme d’État. En antidote, le soir, je lis à V. son terrible portrait par Raymond Baker, chapitre « L’argent sale à l’œuvre » page 96 et suivantes.
Née à Karachi en 1953, Benazir Bhutto a fait ses études dans des écoles privées et a obtenu son baccalauréat du Radcliffe College, à l’université Harvard, en 1973. […] Entre-temps, son père, devenu Premier ministre du Pakistan en 1971, fut renversé par un coup d’État en 1977 et exécuté en 1979 à la suite d’accusations de conspiration de meurtre. […] Elle revint toutefois deux ans plus tard et prit la tête du Mouvement pour la démocratie. En 1988, le général Muhammad Zia ul-Haq périt dans un mystérieux accident d’avion [...]. Benazir fut élue Premier ministre un an plus tard et occupa ce poste jusqu’à son expulsion en 1990, à la suite d’accusations de corruption et de népotisme. Elle fut réélue en 1993 et destituée de nouveau en 1996, en raison d’autres accusations de corruption. […]
Bhutto devint Premier ministre en 1988 et aurait nommé 26 000 militants du parti à des postes gouvernementaux, dont certaines positions dans les banques de l’État. S’ensuivit une débauche de prêts sans garantie adéquate. Bhutto et [son mari, Asif Ali] Zardari « auraient donné des instructions pour que des milliards de roupies en prêts gouvernementaux non garantis soient accordés à 50 grands projets. Les prêts étaient sanctionnés au nom de « pantins », mais allaient à une combine des Bhutto-Zardari [...] Avec le temps, Zardari eut droit à une série de surnoms : Monsieur 5 pour cent, Monsieur 10 pour cent, Monsieur 20 pour cent, Monsieur 30 pour cent, et pour finir, lors du second mandat de Bhutto, lorsqu’il fut nommé « ministre des Investissements », Monsieur 100 pour cent.
Les droits de douanes représentent la source première de revenus pour le gouvernement pakistanais. [...] On embauche une firme d’inspection respectable (ou véreuse, c’est selon), on fait en sorte que le gouvernement paye un taux d’environ 1% pour effectuer des vérifications de prix sur les importations, puis on exige que des pots-de-vin de plusieurs millions de dollars nous soient versés dès l’obtention des contrats. La Société générale de surveillance (SGS), dont le siège social est basé en Suisse, et sa filiale, Cotecna, premier groupe dans le domaine de l’inspection, consentirent sur-le-champ à ce subterfuge. […] Des paiements de 12 millions de dollars furent effectués sur des comptes bancaires suisses […] Bhutto se plaignit : « J’ai dirigé le gouvernement au meilleur de mes capacités et le plus honnêtement possible. Et je n’avais pas d’autres buts que la gratitude et l’amour. »
De même, trafic d’or, passage par une filiale de Citibank à Dubaï, par Citibank Switzerland (au total, trois comptes en Suisse), par des filiales de Citibank dans les îles Anglo-normandes.
En 2000, le Pakistan’s National Accountability Bureau (Bureau de la transparence nationale), chargé de la tâche ingrate d’enquêter sur la corruption, [...] divulgua les détails des avoirs et des comptes bancaires appartenant à Bhutto et à Zardari. Même pour des observateurs avertis, l’envergure de ces avoirs était sidérante : des centaines de propriétés, des dizaines de compagnies et des douzaines de comptes bancaires.
[…] On gela dix-sept comptes bancaires associés au couple Bhutto-Zardari. Le tandem fut accusé de blanchiment d’argent concernant des pots-de-vin reçus de la compagnie d’inspection SGS, puis il fut condamné par un tribunal suisse en 2003 à des amendes et à des peines de prison avec sursis. Ces velléités de la justice furent de courte durée ; les accusés firent appel et le jugement fut infirmé et référé à des procureurs cantonaux. Entre-temps, Zardari fut écroué au Pakistan de 1996 à 2004 sous divers chefs d’accusation.
Son père exécuté, ses deux frères assassinés, sa mère amnésique, son mari dans de beaux draps, Bhutto, qui vivait en exil entre Londres et Dubaï, préféra adopter le rôle de la victime : « Je n’ai jamais demandé d’accéder au pouvoir. Je crois que [le peuple pakistanais] a besoin de moi. Je n’ai pas l’impression que c’est une dépendance. Vous voulez le fuir, mais il ne lâche pas prise... Je suis d’avis que la raison, c’est que nous voulons donner de l’amour et que nous recevons de l’amour. »
Première séquence du lundi 15 octobre, et partie des notes prises le 16 octobre 2007. Le chapitre intitulé « Monsieur 5%, Monsieur 10%, [etc.] » comprend aussi des notes prises les 17 et 19 octobre 2007.
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Journal de la crise de 2006, 2007, 2008, d’avant et d’après, sommaire des notes reprises sur ce site, publiées ou inédites : effondrement jour après jour.
Publication intégrale de 2006 sur le site de Laurent Margantin, Œuvres ouvertes. Voir la présentation et le sommaire avec les liens directs vers les chapitres.
On trouve l’édition définitive de ce premier volume, 2006, chez publie/net (papier et numérique) ; la version papier se commande en librairie.
Quelques-unes de mes sources.
Un entretien à propos de ce Journal.