Mardi 2 janvier 2007
Dossier de ContreInfo à l’occasion de la chute de Saddam Hussein, le président irakien capturé, dans la trappe de la pendaison, et son cou brisé.
Un article de Robert Fisk : « We’ve shut him up.” - on lui a fermé la gueule.
En fait, des mœurs de gangster : l’élimination d’un témoin gênant.
Les radios et les articles se donnent l’air d’être critiques, « c’est la conclusion d’une époque, ça n’empêche pas les difficultés de l’armée ni les succès des insurgés » et ainsi de suite. Passés à la trappe les enjeux historiques et juridiques du procès. Ne soumettre à l’attention ni la critique par codes juridiques, ni la critique par principe de justice – il faudrait les deux justices – c’est leur tension qui est « Voix de Justice » dans les seize hymnes à la paix – mais aucune des deux, finalement : ni droit, ni justice – de ces deux absences c’est colère et fatigue que nous éprouvons.
La fameuse poignée de main de Donald Rumsfeld et de Saddam Hussein, le 20 décembre 1983. Rumsfeld, envoyé spécial du président Reagan. On était en pleine guerre entre Iran et Irak – elle a duré de 1980 à 1988, entre 500 000 et un million 200 000 victimes – et l’attaque irakienne qui ouvrait la guerre, septembre 1980, venait un peu plus d’un an après que le peuple iranien et les religieux conduits par Khomeini eurent renversé le Chah, Mohamed Reza Chah, en février 1979, lequel avait été mis en place en 1941 sous tutelle soviétique et britannique, ces deux pays alors alliés contre l’Allemagne, après guerre, 1951-1953, le nouveau roi opposé à son premier ministre Mossadegh qui voulait nationaliser la Anglo-Iranian Oil Company, le roi s’enfuit, il revient alors que Mossadegh est renversé par un coup d’État organisé par les services secrets britanniques et états-uniens, etc. : dès lors les britanniques à l’arrière-plan, les USA au premier.
Mi-1982, les irakiens reculent en territoire ennemi, les vagues humaines lancées par les mollah contre l’armée de Saddam Hussein vont la submerger. Les USA doivent aider les agresseurs, une victoire iranienne serait insupportable pour eux ; cette poignée de main de Donald Rumsfeld et Saddam Hussein scellait un accord de soutien massif.
Les USA ont livré des cultures bactériennes à celui qu’ils accuseront des années plus tard de détenir des armes de destruction massive qu’ils ne trouveront jamais et qu’après avoir envahi son pays pour cette raison ils viennent de pendre pour crime contre l’humanité. Pour preuve, la déposition du sénateur Byrd du 20 septembre 2002 devant le Sénat US. Après la visite de Donald Rumsfeld à Bagdad en 1982 les services secrets US fournissent au dictateur irakien des photos par satellites du déploiement des armées iraniennes. Ils organisent un commerce triangulaire : les États-Unis livrent des tanks aux égyptiens qui les livrent aux irakiens, les tanks c’est trop gros. Malgré les objections de « some Pentagon skeptics », l’administration Reagan livre des « équipements duals » (dual : à usage civil et militaire indifféremment, une classification vertueuse, à la Hollywood, sein dénudé ou pas, ou typologie de confessionnal) et, d’après une liste publiée par Newsweek, l’hebdomadaire de propagande économique, liste obtenue du ministère du commerce US, une base de données « presumably to help keep track of political opponents » pour suivre à la trace les opposants, et des hélicoptères, des caméras de vidéo surveillance, des équipements d’analyses chimiques – pour quel usage ? - et de nombreuses expéditions de bactéries, champignons, protozoaires (« numerous shipments of the bacteria, fungi, protozoa »).
La France aussi a bien aidé. En 1983, livraison de deux avions de marine, des Super Étendard, et d’un gros stock de missiles marins Exocet. Ils ont été efficaces « dans les 51 attaques lancées contre des pétroliers dans le golfe persique, en 1984 ».
Voici ce qu’il avait dans les yeux, dans les jours et minutes d’avant la mort, Saddam Hussein : j’ai voulu être plus que leur marionnette et prendre tout pour moi, ils m’ont eu.
Une mort impersonnelle, absolument.
Les USA surendettés. Dans le Washington Post une brève et solennelle lettre de David M. Walker, Comptroller General of the United States Government Accountability Office, patron du l’équivalent de la Cour des comptes là-bas. Il avertit les citoyens que la dette du pays vient d’atteindre 50 000 milliards de dollars contre 20 000 milliards il y a seulement six ans. Soit 440 000 dollars US par habitant, soit 9 fois le revenu annuel médian.
Misère US. ContreInfo encore qui pointe vers un article de Howard Karger, un professeur en travail social à l’université de Houston, paru le 29 décembre dernier sur le site alternet.
Quand Ron and Deanna Cook empruntent 300 dollars pour 14 jours, ils paient 60 dollars d’intérêts, un taux d’intérêt annuel de 520 %.
Howard Karger a écrit un livre, Shortchanged : Life and Debt in the Fringe Economy (Berrett-Koehler, 2005) - Vie et dette aux marges de l’économie. Comment le business exploite systématiquement les pauvres et les classes moyennes.
"It is a hidden world," Karger writes, "where a customer’s economic fate is sealed with a handshake, a smile, and a stack of fine print documents that would befuddle many attorneys.
C’est un monde caché où le destin économique d’un consommateur est scellé avec une poignée de main, un sourire et un paquet de jolis documents qui embrouilleraient bien des avocats.
Tout un monde.
Anxiété de se nourrir, de consommer, de continuer de donner le change, d’être en conformité – symétriquement angoisse de rembourser pour être en conformité – les pauvres s’endettent à fort taux et remboursent bien – n’est-ce pas une mine extraordinaire, à forts rendements, qu’il serait criminel de ne pas exploiter ?
Cette exploitation systématique, industrielle de la misère : prêteurs à la journée, prêteurs sur gage, et les prêteurs qui vous avancent de l’argent sur foi de promesses de remboursement fiscaux, puisque le gouvernement n’arrête pas d’alléger les impôts, ça aussi ça produit des créances, pourquoi ne pas anticiper sur cet argent qu’on touchera, hâte produite par faim, faim simple ou faim de quoi, et pourquoi pas pour le prêteur prendre une bonne marge au passage puisqu’il rend un beau service, n’est-il pas vrai ? Et rent-to-own stores, magasins où tous les produits sont proposés en location-vente, en français commercial on a gardé le vieux mot anglais, leasing, tu payes tous les mois, en fait c’est un crédit à la consommation à fort taux d’intérêts, et si un mois tu ne peux pas rembourser, la menace c’est qu’on reprend ton bien, tu n’en est pas propriétaire, et en plus il y aura les pénalités, etc., etc. - quel vocabulaire, ce "rent-to-own", louer pour posséder, cette sorte de sens pratique, particulier, un sens pratique parmi d’autres possibles, verbes nominalisés, création verbale centrée sur l’action immédiate. Sans oublier les cartes de crédit à taux usuraire, à lourdes pénalités en cas de retard de paiement ou dépassement, les cartes de téléphone portable, tes coups de fils futurs payés d’avance à des tarifs exorbitants, et le chef-d’œuvre, le roi de l’immobilier, l’Himalaya des dettes, le prêt subprime : spécial pour les clients à risque avec, dans certaines variantes, entrée quasiment insensible dans la spirale, et les taux augmentent inexorablement, de toute façon le principe est que les taux d’intérêt soient élevés.
Des prêteurs sur gage à taux usuraire il y en toujours eu. Mais en si grand nombre et qui se multiplient ainsi, jamais, non ?
Mercredi 3 janvier 2007
Terra Economica du 24 mai 2006, entretien avec Claire Rodier (membre du Gisti, présidente de Migreurop). Elle fait observer que les déplacements de population dus aux guerres, aux famines, sont entre pays du sud. Peu de gens arrivent ici. Quant à cette expression symétrique, immigration choisie d’un côté, subie de l’autre, elle rappelle que « celle [qui est dite] « subie », [est] en réalité [celle qui] relève du droit, c’est à dire l’immigration familiale et les réfugiés. » En somme, une loi contre le droit.
Et cette question :
Terra Economica : Certains discours font état de déferlantes de populations immigrées en Europe. L’image est-elle juste ?
Claire Rodier : Elle est très exagérée, notamment à cause d’ une spectacularisation du phénomène, comme cela s’est passé à l’automne dernier autour des événements dramatiques de Ceuta et Melilla, à la frontière hispano-marocaine. En 2001, environ un millier de demandeurs d’asile Kurdes de Turquie ont accosté sur la côte varoise à bord d’un vieux rafiot. Les caméras et les micros attendaient le navire, et les images de ces boat people avaient ensuite tourné en boucle, en une redoutable caricature de l’invasion du nord prospère par le sud misérable.
Retour sur Ceuta et Melilla que j’avais vu mais pas noté l’année dernière. Il est paru le 6 octobre dernier. La première phrase du texte de présentation, sur le site du GISTI où je l’ai trouvé, commence ainsi : « Il y a un an, plus de quinze personnes sont mortes par balles, matraquage ou piétinement pour avoir voulu franchir la seule frontière terrestre qui sépare l’Afrique de l’Europe. »
Jeudi 4 janvier 2007
Ceuta et Melilla. Un pdf de Migreurop, couverture en noir et blanc, Le Livre noir de Ceuta et Melilla. Surtitre en rouge : Guerre aux migrants. Au centre une photo de mirador et de barbelés vus d’en bas, un gardien en silhouette de profil, il téléphone. Photos de Sara Prestianni et Anne-Sophie Wender.
Ceuta est une ville espagnole en territoire marocain, en face de Gibraltar. Depuis son indépendance en 1956 le Maroc la revendique. Depuis 2001 un double mur a été construit par les Espagnols : sur huit kilomètres, deux barrières parallèles, entre elles une route pour les véhicules de la Guardia civile. Enfouis dans le sol des senseurs qui détectent et transmettent les vibrations du sol. Caméras qui voient la nuit, éclairages aveuglants déclenchés automatiquement.
Melilla, 400 kilomètres à l’est de Ceuta, même situation : ville espagnole autonome, en bord de mer, entourée d’un double mur sensible.
Si tu franchis les barrières, de l’autre côté tu es en Europe. à quelques kilomètres de Melilla il y a le mont Gourougou. A quelques kilomètres de Ceuta la forêt de Bel Younech. On coupe des branches longues et courtes, on les assemble en échelles. Les plus chanceux ont des gants pour neutraliser ou amoindrir la morsure des pointes d’acier. Les tentatives de quelques-uns sont déjouées. Y aller en force, déborder les gardiens par le nombre.
Le 28 septembre 2005 et les jours suivants, huit cent, dit-on, ont franchi en masse les fils de fer barbelés de Ceuta. Une dizaine ou une quinzaine, impossible de savoir le nombre exact, sont morts de leurs blessures au passage, sous les balles de la gendarmerie marocaine, ou de la Garde civile espagnole, on ne sait, les deux pays se jettent mutuellement l’opprobre.
Plusieurs tentative de passage massif de la barrière de Melilla. Celle du 29 août, environ 300 personnes passent, un petit groupe est encerclé par la Garde civile, « un jeune Camerounais, identifié comme Akabang Joseph Abuna (né le 4 juin 1974), est décédé à la suite d’une hémorragie du foie » (p.89).
La répression se renforce, il est de plus en plus difficile de rester dans les ghettos, le mot des noirs pour leurs abris de fortune. L’entrée de la forêt de Bel Younech, à côté de Ceuta, est gardée ; la source qui s’y trouve devient inaccessible. Et la pression s’accroît encore. En septembre, préparation d’un sommet des ministres marocains et espagnols à Séville, arrestations à Rabat, Tanger, Fès, Casablanca, et dans la forêt de Bel Younech, harcèlement, descentes plusieurs fois par semaine, par jour. Les attaques massives de Melilla donnent des idées à ceux de Ceuta.
L’hiver approche, cela fait des mois qu’on n’arrive pas à franchir.
La nuit du 28 au 29 septembre, c’est celle d’avant la réunion des ministres.
Plusieurs centaines avancent en plusieurs groupes, trois, ou six, ils sont devant les grilles de Ceuta vers une heure du matin. Avant l’assaut, les chefs ont fait passer la consigne (la morale, dit le pasteur Guillaume C., page 31) : sous les balles il faut avancer sans relâche, notre nombre est notre force. Repérage des rondes, assaut du premier groupe, le plus nombreux, environ 110. Les chiens donnent l’alerte. Coups de feu : sur le côté par les marocains, devant par les espagnols. Des tirs en l’air, des tirs à bout portant. Des hommes tombent, l’ami qui est avec toi tu le prends dans tes bras, que faire ? Tout le monde n’avait pas de gants. Des blessés entre les deux grillages et après le deuxième sont pris. On compte cinq morts.
Et puis, dans la nuit du 5 au 6 octobre, assaut à Melilla, au moins six morts.
Des films sont diffusés, la presse s’active, émotion et compassion au-dessus, chuchotements d’invasion en-dessous. Rafles dans les forêts et les grandes villes. Combien de milliers sont refoulés en zone désertique, entre Maroc et Algérie ? Ils sont assoiffés, blessés ; on avait espéré, peut-être, que d’autres encore meurent. Page 13 :
Environ 1 500 personnes sont ainsi découvertes par des ONG et des journalistes près d’un petit village proche de la frontière algérienne dans une zone totalement désertique. Ils avaient été abandonnés plusieurs jours avant à la frontière algérienne, la plupart du temps sans eau ni vivres. Refoulés par les militaires algériens, ils avaient fait à nouveau route vers le Maroc et avaient pu trouver refuge près de ce petit village. Les habitants, pourtant moins nombreux que le groupe de migrants, sont venus à leur secours en leur donnant une bonne partie de leurs réserves de nourriture.
Sont donnés les récits de Serge G., « Une prison qui ne dit pas son nom » ; du pasteur Guillaume C., « Nous sommes capturés au niveau des esprits » ; de Moussa K., « En tant qu’homme, il faut avoir une ambition » ; de Martine F., « Je cherche la paix » ; de Junior K., « Je ne peux plus reculer, qu’on me laisse aller de l’avant » ; d’Arthur B., « On commençait à réaliser la gravité de la situation » ; de Roseline D., « Quel genre de femmes seront mes filles ? » ; de Basile N., « Ici, à chaque visite d’une autorité venue d’Europe, c’est les blacks qui pâtissent ».
Dans les zones désertiques, des bergers aident. Des policiers en jeep passent, ils demandent des nouvelles, donnent des conseils, mais dans les opérations délibérées, planifiées, certaines avec repérages par hélicoptères, c’est autre chose. À la traversée des villages des gens donnent « un peu de l’eau, un peu de pain, un peu de tomates » (Martine C.), d’autres insultent, lancent des pierres.
Les survivants dans les forêts, les échappés dans les villes, les relâchés dans les déserts finalement sont pris. Les Sénégalais et les Maliens sont expulsés vers leurs pays, les autres, de pays en guerre, errent, trimballés de prisons en dortoirs puis en camps militaires.
C’est la politique de l’Union européenne. Fermer les frontières par grillages, patrouilles, navires. Cela, d’un haut niveau technique, symétriquement du plus bas niveau humain, est payé en partie par l’Union, le reste à la charge du pays sous-traitant, c’est dans les budgets d’aide. Et on obtient des changements législatifs.
(…) la loi marocaine sur l’asile et l’immigration, votée en 2003 sous la pression de l’UE1, prévoit en son article 50 de punir d’amende ou/et d’emprisonnement toute personne qui quitterait clandestinement le pays. Est ainsi réhabilité le délit d’« émigration illégale », autrefois apanage des régimes dont les ressortissants avaient un droit quasi automatique à l’asile en Europe de l’ouest. Ces dispositions sont bien sûr contraires au droit international qui depuis la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen (DUDHC, 1948) a consacré à de multiples reprises « le droit de quitter tout pays y compris le sien ».
Une politique de longue date. Une longue chronologie analytique, pages 91 à 97, depuis les années 1970, arrêt de la migration de travail, et les années 1980, xénophobie encouragée par la presse et par les politiciens démagogues, début de la montée de l’extrême-droite, jusqu’à nos jours les lois, accords de coopérations, un long et lent étranglement des peuples. En les enfermant dans leurs propres pays, en les enfermant dans les pays de transit avant les montagnes et la méditerranée, on s’enferme nous-mêmes. Nous nous les emprisonnons, nous nous emprisonnons.
Version initiale des 2, 3 et 4 janvier 2007. La version publiée comprend aussi une note du dimanche 7 janvier et est, pour les passages repris ici, nettement plus courte.
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Les notes des 3 et 4 janvier sur Ceuta et Mellila ont été publiées dans le cadre du projet Descrizione del Mondo. Cette publication est précédée de « Je déteste les généralités ». On y trouve également un schéma des enceintes frontalières issu de l’atelier de cartographie de Sciences Po. Remerciements à Andrea Inglese.
Journal de la crise de 2006, 2007, 2008, d’avant et d’après, sommaire des notes reprises sur ce site, publiées ou inédites : effondrement jour après jour.
Publications :
2006 : publie/net, 2015.
2007 : publie.net, 2016.
2008 : publie.net, 2018.
Sur YonneLautre, un entretien à propos de ce Journal.