Écrit en marge de La Nasse, à destination d’un ami qui s’enthousiasmait.
Tu en as assez d’être reclus dans ton coin.
Comme je te comprends. Moi aussi.
Tu veux voir du monde,
être reconnu
et avoir de l’argent pour te reposer
et acheter le livre
que toi seul sauras lire comme il faut.
Bien. J’ai une adresse. Je connais quelqu’un.
Il serait prêt à. Pourquoi pas ?
Mais négocie bien. Et pour cela sache où tu vas.
Que veux-tu ? L’occasion est bonne
de faire vraiment ce que tu veux. Prends l’oseille !
Chaque matin, dis-toi à toi-même :
« Que la poésie est belle quand elle est libre. »
Toi aussi tu l’es.
D’abord tu ne demandes rien. On te donne :
c’est ainsi, c’est normal,
ce serait seulement ignorance
ou bassesse
que de ne pas te donner.
On veut connaître le projet ? Oui, cède sur cela.
C’est toi, en fait, qui procèdes au contrôle.
Pour toi : oui, tu n’as rien retouché
ni retranché, ni réorienté. Continue.
Et pour lui : il n’a bronché ? Bon.
De toute façon
ce n’est pas à lui de juger
et tu n’agis pas en fonction de lui.
Dans la semaine qui suit l’accord de principe
tu sors le contrat. Tu l’avais déjà rédigé.
Tu y as mis tes rêves de poésie autre.
Et très grosse avance. Irréversible. Tout de suite. C’est pour le bien
de chacun. Sur les détails administratifs et juridiques,
cède s’il le faut. Tu as gagné sur l’essentiel. Ils n’oseront
te faire un coup en douce.
On ne peut rien contre une colère d’artiste.
Si jamais l’on te demande de changer quoi que ce soit,
tu romps.
Tu ne peux t’empêcher, les choses allant bien,
d’éprouver de la reconnaissance ? De l’amitié ?
Et alors ! Vous vous êtes reconnus.
N’est-ce pas aussi ce que tu cherchais ?
Et où est le mal, puisque c’est toi
qui ouvres les fenêtres — vraiment, non symboliquement —
et que tu marches et que tu tutoies, toujours,
bipèdes, minéraux et quadrupèdes au sponsor inconnus ?
En fait, la seule chose qui compterait, ce serait de changer de vie —
mais justement dans ces cas-là on ne s’en rend pas compte.
On a quitté une vie. Trop tard. C’est comme une mort par le froid.
La diffusion c’est ton affaire.
Ne laisse pas les publicitaires du sponsor
t’imposer leurs conditions.
Arrange-toi pour que ton travail touche
beaucoup et large, au-delà des cercles :
celui du sponsor comme le tien.
Et fais-en profiter le reste de ton œuvre.
Sors-la de l’ombre tout à fait. Qu’elle fasse son travail.
Et fais-en profiter tes amis et ceux que sans connaître
personnellement tu estimes. Toute occasion est bonne
de changer les règles. Toucher des mains aussi
est dans l’art poétique.
Vraiment, si tu ne fais cela, était-ce la peine
de te mettre à l’épreuve ?
Voilà. Tu n’es pas trop dépendant, homme digne,
et tu es sorti des cercles. Tu as pris le large.
Et peut-être même des ressources
pour continuer seul, plus proche des sources,
réponses en retour de vivants
allants et rebutants.
Mais au fait, finalement,
es-tu vraiment sûr ?
Tout cela tu ne pouvais vraiment l’atteindre —
même en travaillant plus
ou autrement ou plus longtemps —
sans sponsor ?
Va. Reprends tout depuis le début.