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…les productions les plus autonomes
sont dépourvues de marché et ne peuvent se passer
de l’aide publique.
Allons ! le public
jamais ne serait valeureux ?
L’élite
impunément pourrait
se baptiser elle-même
élite ?
Regardez les artistes, braves poissons
à la recherche de pitance
de reconnaissance surtout
et pourquoi pas celle du filet, du pêcheur,
de la poêle pleine de tomate et de piment ?
Ils appellent cela pudiquement « un public »
mais ajoutez : « qui ne me dise pas non
quand je brame solitude, trouvaille, génie,
Art, œuvre, mon œuvre, moi ! »
Ils vont se mettre en sécurité
dans un lieu où tout est organisé,
où la table est mise et la glose surabondante
sur les modèles à suivre ou désuivre.
La conclusion va de soi :
les entreprises culturelles
ne peuvent exister et subsister
que grâce à des fonds publics.
Ainsi ils sont allés eux-même, d’une nageoire ferme,
car c’est la règle du jeu
dans la nasse
où il n’y a d’autres qu’eux
et ceux qui partagent
leur cinéma.
Doux poissons, fallait-il vraiment aller là
dans la main de l’État ?
N’y avait-il pas pitance à chercher ailleurs
dans l’océan, et mettre le sonar,
comprendre l’eau, les algues, le passage des vagues,
les courants, la vie des gros et des petits poissons ?
2
Question : que faire des pompiers ? de l’art officiel ?
Réponse : Les artistes, les écrivains et les savants
qui ont en dépôt
certains des acquis les plus rares de l’histoire humaine
doivent apprendre à se servir contre l’État
de la liberté que leur assure l’État.
Mais tes forces, ami, où les prends-tu ?
De l’État ? C’est là ta source d’inspiration ?
C’est de l’État, fonction, fonctionnaires,
intimes cachés dans les replis du monstre général,
que viennent les seules réponses, les encouragements,
la solidarité alimentée, renouvelée ?
3
Achats d’artistes ou d’intellectuels :
les « expertises », « conseils », « interventions »
et autres hochets qui mêlent considération
et argent, journaux, photos.
Bon. La seule chose à faire si on voulait
ce serait de rire ou de huer
à chaque fois qu’ils osent crier au martyr.
Ce n’est pas le seul moyen de vivre, j’espère,
que de se faire acheter,
fut-ce par l’État neutre
fut-ce en continuant de crier
son héroïque solitude ?
4
Au fond ne s’est-on pas trompé
sur la nature et la portée
de ces ruptures hérétiques,
de ces véritables révolutions symboliques
lesquelles, pourquoi pas,
peuvent entrer sans problème
dans l’art de vivre bourgeois ?
Imagine
les risibles révolutionnaires symboliques
obsédés de « récupération ».
Une seule issue pour eux : « faire plus, plus,
choquer davantage les bourgeois ! »
Allons, obsédés de bourgeois ! les bourgeois que vous dites
ne sont la mesure de tout –
et comment seraient-ils à la fois
à passer à la trappe
et l’unique référence ?
Mais laissez-les donc. Allez ailleurs.
Occupez-vous plutôt de vos frères
nombreux de par le monde, non ?
Posez plutôt le travail et les renversements qu’il permet
en premier
– avec son équivalent
la méditation sans contrainte de temps,
la rêverie sans agenda,
la distance qui réinvente
et ramène au contact.
5
Gosses révoltés, vous ne l’êtes pas toujours
pour vous-même et votre propre dignité, ni celle d’autres –
mais êtes à la recherche éperdue de reconnaissance
qui donne l’air d’exister.
La seule grande et bonne question
n’est ce pas la possibilité donnée
d’inventer – contre soi y compris ?
n’est-ce pas le cœur au ventre donné
à quelques inconnus porteurs d’élans
et de bien-entendus, malentendus,
qu’on ne verra sans doute jamais ?
le mouvement irréversible lancé
et répandu, repris, assimilé,
d’harmonies, de dysharmonies qu’aucune grimace
durablement ne peut défaire ?
Allez, vous n’êtes ni les seuls ni les premiers
à inventer, risquer, bâtir, ni à trouver la liberté d’agir
à peu près droits
dans l’appui d’autres citoyens.
Vous cherchez de la reconnaissance ?
mais c’est à vous de la donner
généreusement
celle que vous avez !
Artistes, écrivains, savants et autres ignorants.