oiseaux, oiseaux tombés, oiseaux ramassés
dites, qu’avez-vous de là-haut rapporté ?
quel air ? quel air vicié ? quels efforts vains ?
quelles odeurs ? quelles visions de lointains ?
vous victorieux de la gravité
ne tombant pas, n’enchaînés pas aux forces
qui entraînent
vers le centre
de la terre
ô vous tout autour de la terre qui volez
selon sa rotondité
mais nous verticaux courbés
éprouvés par la force qu’il faut pour monter
la pente même divisée en escaliers
la route même divisée en lacets
nous verticaux réduits à terre
comme voiture brûlée au virage montant
comme vélo alourdi d’araignées et de rouille
nos dos incurvés, nos fesses musclées
nos cuisses piliers, nos pieds véloces, fatigués
vieille dame aux épaules arrondies
dans la montée, lourds sacs, lourds cabas
– on peut vous aider ?
ce n’est pas nous l’effort élégant, la grande force
de s’arracher de l’étang, abattée, ailes vers le bas
poussant tout l’être vers le haut
ailes remontées vers le haut, faible descente, vitesse gardée
et de nouveau l’abattée, un peu plus haut, plus loin, plus vite
plan corporel symétrique
épaules, coudes, poignets, phalanges
partant du centre, segments articulés
jusqu’à l’extrémité des rémiges
vos épaules montées vers le haut entraînant
coudes, poignets, doigts à plumes
prolongés au plus loin
qui prennent l’air, le turbulent
et vos épaules rabattues vers le bas pour pousser
et monter
vers l’avant
dites : envergure
répétez : envergure, envergure, envergure
oiseaux sensibles entièrement de votre corps-esprit
qui êtes chez vous dans cet entre-deux de l’espace
en-dessous la violence affairée des zhumains
au-dessus la violence contenue des nuages
nuages qui gardent en eux leurs torrents suspendus
par tonnes, par centaines de milliers de tonnes
cumulo nimbus, deux cent mille tonnes
quelle gravité
masse attirant d’autres masses ?
imagine eau attirée par eau
qui entraînerait
par tous liquides du corps
vers le haut ?
oiseaux tombés, oiseaux ramassés
qu’avez-vous de là-haut rapporté ?
nous terrestres, de quel air brûlant, poussiéreux
agité, abrutissant, vivons-nous ?
respirons-nous ? quelle est notre condition
respiratoire ?
oiseaux qui planez sur les courants
esprit et corps entiers non séparés
ailes étendues vibrantes
pattes et queue portantes
toutes racines de plumes vous crient
dans le corps entier les forces du vent, donnent
du vent les mouvements
et ailes, pattes, queue répondent à l’instant même
vol équilibré, vol ajusté
donnant aux zyeux de tous terriens
les déplacements de l’air qu’autrement
on ignorerait
dites, qu’avez-vous de là-haut rapporté ?
quels rêves ? quelles prémonitions ?
voyez-vous votre mort venir
ou déjà, bien avant, elle pressentie dans les luttes
contre le fluide résistant
durci de plus en plus
l’air passé de portant à visqueux, à mélasse
non navigable
maigreur extrême
de chaleur, de faim
globes oculaires enfoncés
veine de l’aile gonflée
ailes fracturées
crânes cassés
dans ta chute, dis, entendais-tu
le vent passer dans les feuilles des arbres
que tu n’entendras plus ?
par milliers vous trouvés par terre
votre symétrie brisée dans la chute
votre vie réduite
à plumes défaites collées tassées
dans ta chute, dis, entendis-tu
le brouhaha des mécanisés
que tu n’entendras plus ?
voici l’instant venu
de la douleur disparue, du grand calme
du tunnel lumineux
et d’être très haut, de se voir volant
au-dessus de soi
de voir
la grande plaine, les prairies, les fleurs
les insectes à portée de bec
ne t’apitoie pas
ne parle pas des animaux
des plantes, des forêts, des glaciers, des océans
des oiseaux
pour ne parler que de toi
ne vois la mort
yeux à yeux, bec à bec
que pour t’apitoyer sur toi-même
comme font aux cimetières en cortège
les pleureurs et les pleureuses pleurant
leur propre et prochaine fin
nous savons qui
leur solide égoïsme
les fit chuter comme des pierres
tout en piaillant
qu’ils avaient raison
une colère sèche plutôt
et durable
Cette ode est dédiée aux ramasseurs-sauveteurs et aux vétérinaires du Jivdaya Charitable Trust, Ahmedabad, État du Gujarat, Inde.
Elle a été publiée dans le n° 23 (juin 2023) de la revue Sarrazine – et traduite en anglais (U.S.) par Dennis Nurkse et publiée en juillet 2023 sur le site de Four Way Books.