mon père a monté le parti socialiste, en Espagne
s’il avait monté le parti fasciste il serait resté là-haut
on a cinq cousins qui ont été tués
même après la guerre
on a été deux ans réfugiés dans le pays catalan
on entendait déjà les canons qui s’approchaient
après, les militaires nous ont emmenés à Barcelone
on a été quinze jours couchés dans le métro
on est arrivés dans l’Yonne en 1939
j’avais 10 ans
on est y resté quatre ans
j’ai connu la misère
j’étais caché dans les bois au moins deux ans
on est arrivés dans la Nièvre par les contremaîtres
on travaillait dans les fermes
il y avait des patates
des haricots
et 30 vaches laitières
en 49 j’avais 20 ans
on venait de Beaumont-la-Ferrière
le pays d’Achille Millien
un grand poète
on était pas loin de sa maison
avant les gens partaient chercher de l’eau
à la fontaine Saint Pèlerin
il y avait des vignes, on se faisait du vin
les vignes c’était du Baco
elles ont toutes été piochées après guerre
ils sont tous morts les cinq qui ont pioché les vignes avec moi
il y avait Philippe Guimard
il y avait Gaston Petit
il y avait le gendre à Courtois
il y avait Pouillot, avec son frère ils se sont fait tuer tous deux
ils voulaient monter un pavillon
il y avait une buse à mettre pour les égouts
ils étaient dans la tranchée, à deux mètres
la tranchée s’est rabattue sur eux
ils ont été enfouis tous deux
depuis 1940, 49
j’ai travaillé pour les routes
dans les fermes
j’ai travaillé trois ans dans un château
j’ai travaillé partout
il y avait une usine, la Lambiotte, à Premery
il fallait couper du bois
du taillis, du charme
100 hectares de bois
il y avait 50 personnes
du monde venait de partout à la coupe
le bois allait à l’usine
ils tiraient des produits chimiques
ça passait dans des tuyaux
ça sentait mauvais
j’aurais pas aimer habiter ici
c’est fini l’usine, ils l’ont démontée
il y avait une femme que j’ai connue jeune
elle m’a dit ils vont arrêter l’usine
j’ai dit tant mieux qu’ils arrêtent
elle dit pas tant mieux parce que ça nous fait du travail
ça fait du travail mais si ça fait des morts dans l’année !
les gens respiraient ça, vous savez
j’ai travaillé partout
j’ai travaillé quatre ans à la pelleteuse
avec un copain
à Cosne, à Arquian, à La Celle-sur-Loire
on traçait dans les champs
pour les HLM
j’ai travaillé partout
mais dans cette usine-là, non
les gens respiraient ça, vous savez
Dessin de Marie-Pierre Vagne-Laboulandine.
Ici, description du projet et deux autres portraits : Dédé & Dédette L., Germaine C..
Tous les portraits et autoportraits, images et textes, de Portraits de Puisaye - La Couleur des mots, sont dans le catalogue de l’exposition.